Le donjon de l'an mil du Pallet
 
  • La technique de la motte féodale


Tapisserie de Bayeux, attaque du château de Dinan.

Le château est perché sur sa motte. A gauche, la passerelle
qui prend appui sur le talus, enjambe le fossé et mène
à l'enceinte qui protège la tour maîtresse. Les assaillants
tentent d'incendier la palissade.

Dans Jean-Pierre Panouillé
 Les châteaux forts dans la France du Moyen Âge.
Rennes, Éditions Ouest-France, 2003

UNE FORTIFICATION ORIGINALE

Dans la tapisserie de Bayeux, brodée dans les années qui suivirent la bataille d'Hastings (l066) cinq épisodes mettent en scène des demeures fortifiées; dans chacun des cas, celles‑ci sont juchées sur des mottes. La scène 45 montre Robert de Mortain, demi‑frère de Guillaume le Conquérant, diriger à Hastings la construction d'une motte fortifiée. Au début du XIIe siècle, un auteur médiéval n'hésite pas à écrire : « C'est l'habitude de tous les hommes les plus riches et les plus nobles [ ... ] de faire, en amoncelant de la terre, une motte aussi élevée qu'ils en sont capables ; de creuser tout autour un fossé aussi large que possible et d'une grande profondeur; de fortifier cette motte à sa périphérie au moyen d'une palissade en planches solidement assemblées en guise de muraille [ ... ], d'édifier au centre une demeure, ou plutôt une forteresse qui domine l'ensemble... » (Vie de Jean de Warneton par Jean de Calmieu).

 La taille moyenne de ces ternes en forme de tronc de cône est d'environ 30 m de diamètre à la base pour une dizaine au sommet. La hauteur varie de 6 à 12 m créant une pente de 35 à 55 degrés. Pour élever une motte de dimension moyenne et creuser le fossé de 4 m de largeur et 3 m de profondeur qui la ceinture, il faut manipuler environ 5000 tonnes de terre.

Un tel travail pouvait être effectué en trois mois environ par une trentaine d'hommes. En retaillant un monticule naturel pour accentuer le profil de la pente ou en faisant d’un gros rocher ou de tout autre accident du relief le noyau d’une motte, on diminuait bien sûr l’importance de la tâche.


Le schéma d'un château à  motte avec sa basse-cour.
Dessin de Patrick Robart

  • Les donjons de pierre

Donjon de Loches, Indre et Loire

Haut de 37 m c'est l'un des plus anciens donjons de pierre. Le rez-de-chaussée comprend un puits et deux fours. Le premier étage correspond à la grande salle (aula), le deuxième au logis, le troisième au dispositif de défense (sergents, stock d'armes et de projectiles).

La dendrologie (datation des restes de poutres grâce à l'étude des anneaux de croissance du bois) permet de dater sa construction    entre 985 et 1035
.



Une technique de construction éprouvée
Chantilly, musée Condé, Ms 728
in W. Robl

L'usage de la pierre dans l'architecture militaire médiévale est donc plus précoce qu'on ne l'estimait autrefois en accordant aux seuls édifices religieux ce privilège.
La pierre résistait à l'incendie mais l'emploi de ce matériau dépendait des moyens du seigneur et des ressources locales. La pierre ne remplaça pas partout le bois. On continua à construire en bois bien après le XIIe siècle.

  • Le donjon du Pallet depuis le XVIIe siècle

1646 – Lambert Doomer réalise une peinture du site (Musée Dobrée où on aperçoit les ruines du donjon.

1815 - Le cadastre du Pallet mentionne les ruines du donjon

1817 – Claude Thiénon publie deux gravures n° 2 & 3 (graveur Piringer) du site du Pallet où l’on voit les ruines du Donjon.

1817 – William Dorset Fellowes réalise une aquarelle du même paysage (Musée du Vignoble). Publication à Londres en 1818. On aperçoit également les ruines.

1848 - Monsieur Verger, dans son manuscrit fait la description sommaire du donjon, il note la présence d'un cimetière à l'intérieur des murailles Les dimensions qu'il indique sont approximatives et erronées, il mentionne la présence d'une douve.

1849 -  Prosper Mérimée,(voir la lettre) Inspecteur général des Monuments Historiques au Ministère de l’Intérieur écrit au préfet de Loire-Atlantique pour lui demander de mettre fin à la démolition de la « maison d’Abélard »

1895 - Léon Maître signale le donjon. Voir ci-dessous.
 
1910 -
Monsieur de Berthou dans son ouvrage « Clisson et ses Monuments» fait également une description des ruines, les dimensions qu'il indique sont approximatives faute, sans doute, d'avoir tenu compte des parements et des chaînes d'angle. Il date la construction de la fin du 11e siècle.

1960 - Le donjon ne figure pas sur le nouveau cadastre.

1979, La Société Archéologique de Nantes fait poser une plaque commémorative sur le mur du donjon à l'occasion du neuvième centenaire de la naissance de Pierre Abélard.

1996 - Christophe Amiot, dans son étude sur les donjons de Bretagne, cite très sommairement le donjon du Pallet. Il reprend les observations de Monsieur de Berthou

2001 - La conférence Internationale de Nantes, "Abélard à l'aube des universités" présidée par Yann Tanguy visite le donjon et est reçue par la municipalité du Pallet.

2003 - l'Association Culturelle Pierre Abélard entreprend le nettoyage et à la mise en valeur du site et fait procéder par un laboratoire du CNRS à une datation au carbone 14.


 

Le cadastre de 1815

  • L'église St-Vincent est bien représentée à côté du donjon dont la forme quadrangulaire est respectée. La motte est appellée "butte d'Abeillard".
     

  • Cette église, démolie au milieu du XIXe siècle a disparu. Seule subsiste aujourd'hui la chapelle Sainte-Anne qui servait de sacristie.
     

  • Dans le cadastre de 1960 le donjon n'est plus représenté.
     

  • Note : A notre connaissance, le donjon du Pallet, malgré ses dimensions importantes et son histoire particulière (naissance de Pierre Abélard) n'a fait l'objet d'aucune étude détaillée et sérieuse.

  •  La description du donjon en 1895 et 1910


Vue du site à la fin du XIXe siècle

"On devrait écrire Le Palais. Le bourg est sur l'emplacement d'une petite place forte défendue par des retranchements en terre, par le confluent de la Sèvre et de la Sanguèze et une énorme motte avec un donjon carré qui lui ont valu le titre de ville et de châtellenie. La paroisse très réduite aujourd'hui devait s'étendre sur celle de Vallet dans le principe".
Léon maître, Géographie historique de la Loire Inférieure, tome II, Oberthur, Rennes 1895.

"A quelques pas derrière la chapelle Sainte-Anne se voient les murs du donjon du Pallet, carré légèrement irrégulier, assez bien conservé , mais sur une faible partie de son élévation. La hauteur actuelle de ses murs atteint 6,20 m sur le côté ouest, partie la mieux conservée regardant un petit jardin; 2,75 m seulement vers la place de l'ancienne église. Il mesure hors oeuvre 17 et 18 mètres de longueur sur chaque face; dans oeuvre12,40 m de l'est à l'ouest et 13,20 m du nord au sud. Les murs ont à hauteur d'homme 3 mètres environ d'épaisseur, avec léger renforcement aux angles, au moins aux angles qui regardent la route. Leur parement est fort soigné et fait de pierres de schiste de petit modèle. Ils sont composés intérieurement d'un blocage d'une dureté extraordinaire; Il n'y a pas de traces de contreforts : les petites dimensions de l'édifice ne les rendaient pas nécessaires."
Paul de Berthou, Clisson et ses momuments, Nantes 1910, page 20

  • Le donjon retrouvé

Le quadrilatère du donjon qui disparaissait sous la végétation apparaît désormais clairement. On voit la plaque commémorative scellée en 1979.
Au fond, au nord, la base du calvaire.

 A droite de la photo, le mur ouest dont on devine l'épaisseur,
en second plan, au sud, la chapelle Ste-Anne.

Avec ses 400m2 hors oeuvre, ses 158 m2 intérieurs et ses murs de 3,60 m d'épaisseur le donjon du Pallet est une construction très importante pour l'époque.
Il a une plus grande superficie au sol que le donjon de Loches cité plus haut qui mesure 25 m sur 15 m soit 375 m2. Le donjon voisin de Tiffauges fait  environ 18 m de côté, celui de Pouzauges 16,60 m par 15,80 m.
Le donjon de Montbazon, assez semblable (pas de contrefort) a, lui, gardé sa hauteur. Il est toutefois un peu plus petit en surface au sol

 

 Un donjon aux dimensions imposantes.
  • Le donjon du Pallet avait l'apparence, jusqu'à ces derniers temps, d'une ruine informe, apparemment sans signification, complètement enfouie sous une épaisse végétation. Le nettoyage des murailles et l'enlèvement des broussailles a permis, après une observation attentive de la construction, de retrouver les contours des murs à l'origine et d'en établir un plan précis.
     
  • La forteresse se présentait à l'époque de sa construction, selon un plan presque carré de 20m de côté avec des murs de 3m6O d'épaisseur (voir plan) sans contrefort. On n'aperçoit à l'intérieur ni mur de refends, ni puits. Ses dimensions placent le donjon du Pallet parmi les plus importantes places fortifiées de Bretagne, des Xe et XIe siècles.
     
  • Les murs ont aujourd'hui l'apparence d'une maçonnerie brute et très soignée, parfaitement droite, réalisée avec de la pierre de pays. Les angles sont réalisés au moyen de pierres de granit, soigneusement taillées, formant chaîne d'angle. On en trouve encore quelques assises dans l'angle Nord‑Est. Les pierres de parements des murs ont été pour la plupart arrachées pour être utilisées par les démolisseurs. Il en reste, à l'extérieur environ 22 m2, notamment sur le mur ouest, et à l'intérieur à peine 4 m2 sur les murs nord et sud. Le mortier de chaux et sable est très dur et renferme quelques menus fragments de charbon de bois. Il subsiste de très nombreux trous de boulin, mais aucune trace d'ouverture.
     
  • La provenance des matériaux est vraisemblablement proche du lieu de construction : sans doute les pierres de pays viennent-elles de la carrière encore visible sur le flan nord de la butte. La chaux n'est pas courante dans nos terrains de Gabbro. Il faut aller jusqu'aux Cléons en Haute-Goulaine pour trouver du calcaire.
     
  • Le donjon a été implanté apparemment à la base de la butte féodale, à cheval sur le fossé initial qui protégeait la motte. Dans un manuscrit de XIXe siècle, Monsieur Verger affirme avoir vu un deuxième fossé, passant légèrement plus au sud de la construction actuelle. Ce fossé a pu être creusé après l’édification du donjon de pierre. Il y a encore, aujourd'hui, les traces d'un troisième fossé plus au large qui protégeait la basse‑cour.
     
  • Nous n'avons aucun document permettant de dire quelle était la hauteur de ce donjon ni la forme de sa toiture. Toutefois, des ardoises trouvées sur place avec présence de clous en fer, laissent peut-être à penser que la toiture pouvait être réalisée avec ce matériau.
     
   
  • La datation au carbone 14

Aucun document connu ne nous indique à quelle date a été construit ce donjon, ni qui en a été le constructeur et le premier occupant.
L'Association Culturelle Pierre Abélard, a voulu compléter son travail de nettoyage du site en faisant procéder à une datation au carbone 14 dont les résultats ont confirmé l'ancienneté de ce donjon - entre 892 et 1023 -. La Direction Régionale des Affaires Culturelles n'est pas insensible aux souhaits de l'Association et, à la mesure de ses crédits, va bientôt pouvoir s'intéresser à ce patrimoine.

  • L'étude du bâti par Joseph Mastrolorenzo

En avril 2006, monsieur Joseph Mastrolorenzo, archéologue en architecture a réalisé pour le compte de l'Association culturelle Pierre Abélard et pour le Service Régional de l'Archéologie et des Monuments Historiques des Pays de la Loire, 1 rue Stanislas Baudry 44035, Nantes, une très intéressante étude du bâti de ce donjon. Un programme de fouilles est proposé.

Pour en savoir plus, consultez l'intégralité de cette
étude du bâti au format Pdf - 12 Mo
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