Encore contre Pierre Abélard.
A son vénéré
seigneur et bien-aimé père G..., cardinal diacre de la
sainte Église romaine, Bernard, abbé de Clairvaux, salut
et esprit de conseil et de force.
Je ne saurais vous taire l’injure qu'on
fait à Jésus-Christ, les douleurs et les angoisses où se
trouve l'Église, la misère qui pèse sur les indigents et
les gémissements que font entendre les pauvres. Nous
vivons dans un temps fécond en périls qui voit se lever
des docteurs uniquement occupés à flatter ceux qui les
écoutent, et des disciples qui ferment les oreilles à la
vérité et ne les ouvrent qu'aux fables qu'on leur
débite. Il paraît en France un homme dit nom de Pierre
Abélard, qui se donne pour religieux et vit sans règle;
pour prélat, et n'a point charge dames; pour abbé, et
n'a point d'abbaye; il dispute avec des enfants et
converse avec les femmes. Dans ses livres, il repaît ses
disciples d'une nourriture inconnue et les enivre d'un
breuvage clandestin, tandis que dans ses leçons orales
il captive par un néologisme profane et des expressions
aussi nouvelles que le sens qu'elles expriment, et
essaie de percer, non pas comme Moïse seul et sans
témoin, mais avec la foule entière de ses nombreux
disciples, les mystérieuses obscurités dont Dieu
s'environne. On ne voit dans les rues et les places
publiques que des gens qui disputent de la foi
catholique, de l'enfantement de la Vierge, du sacrement
de l'autel et de l'insondable mystère de la sainte
Trinité. Nous n'avons cessé d'entendre les rugissements
du lion que pour avoir les oreilles déchirées par les
sifflements du dragon; mais vous, Seigneur mon Dieu,
vous saurez confondre les visées de l'orgueil et fouler
aux pieds le lion et le dragon. L'un ne fit de mal que
pendant sa vie, sa mort mit fin à ses ravages; mais
l'autre a pourvu à la perte de l'avenir et pris un moyen
assuré de faire passer le poison jusqu'aux générations
qui ne sont pas encore nées. Il a écrit et publié ses
nouveautés pestilentielles; je me suis procuré ses
livres et je vous les envoie, vous pourrez ainsi le
juger par ses oeuvres. Vous verrez que notre nouveau
théologien a de commun avec Arius de distinguer des
degrés dans la sainte Trinité; avec Pélage, de faire le
libre arbitre supérieur à la grâce; avec Nestorius, de
diviser Jésus-Christ en niant l'union de son humanité à
la Trinité; or je ne cite là qu'un petit nombre de ses
erreurs. Eh quoi! n'y aura-t-il donc personne parmi vous
qui gémisse sur les coups dirigés contre le Sauveur,
personne qui prenne le parti de la justice et se lève
contre l'iniquité? Si l'on ne ferme la bouche à ce
méchant, je mets les conséquences de toute cette affaire
entre les mains de celui qui considère le travail et la
douleur dont le juste est accablé par le méchant (Psalm.
IX, 35).
LETTRE 333
Sur le même sujet.
A son ami G.,.,
vénérable cardinal diacre du titre des saints Sergius et
Bacchus, Bernard, abbé de Clairvaux, salut et amitié.
Puisque vous avez l'habitude de. vous
lever devant moi toutes les fois que je me présente à la
cour, je vous engage à le faire en ce moment; ne croyez
pas que je plaisante, je parle très sérieusement; en ce
moment même je me présente devant la cour, sinon en
personne, du moins dans le procès qui lui est
actuellement déféré. Veuillez donc m'honorer dans la.
cause que je plaide, car c'est celle de Jésus-Christ
lui-même et de la vérité. Oui, levez-vous, ou plutôt
soulevez-vous, le coeur indigné, contre un hérétique qui
parle de foi, contre toutes les règles de la foi, et qui
se sert des propres termes de la loi pour détruire la
loi. Il lève la main contre tous et chacun la lève
contre lui. Je veux parler de Pierre Abélard, qui écrit,
dogmatise et dispute à sa fantaisie, sur la morale, les
sacrements, ainsi que sur le Père, le Fils et le
Saint-Esprit. Après avoir jeté le trouble et l'agitation
dans l'Église, il se présente à la cour de Rome, non
pour chercher un remède aux maux qu'il a causés, mais
pour justifier les erreurs auxquelles il s'est
abandonné. Défendez, en véritable enfant de l'Église; le
sein qui vous a porté et les mamelles qui vous ont
nourri.
OEUVRES COMPLÈTES
DE
SAINT BERNARD
TRADUCTION NOUVELLE PAR M.
L'ABBÉ CHARPENTIER
PARIS,
LIBRAIRIE LOUIS DE VIVÈS, ÉDITEUR , 9, Rue
Delambre, 9, 1866
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/index.htm
Pour les commentaires de Horstius et Mabillon, se
reporter au site de l'abbaye Saint-Benoit
qui a mis en ligne cette traduction, 08/12/2003
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