Les évêques
exposent au souverain Pontife ce qui s'est passé dans
Parfaire de Pierre Abélard qui, après avoir provoqué
saint Bernard à se rendre au synode de Sens, a refusé de
répondre au reproche. d'hérésie qui lui était adressé et
s'est contenté d'inter jeter appel au saint Siège.
Au très révérend
père et seigneur innocent, parla grâce de Dieu souverain
Pontife, Henri, archevêque de Sens, Geoffroy, évêque de
Chartres et légat (b) du saint Siège, Hélie, évêque
d'Orléans, Hugues, évêque d'Auxerre, Hatton, évêque de
Troyes, et Manassès, évêque de Meaux, l'hommage de leurs
ardentes prières et de leur obéissance.
1. Comme tout le monde reconnaît que ce
qui a été confirmé par le saint Siège apostolique passe
pour si sûr et si certain qu'il n'est chicane ou passion
mauvaise qui puisse en détruire l'autorité, nous avons
cru que nous devions vous rendre compte, très saint
Père, de tout ce qui s'est fait dans notre dernière
réunion, afin due Votre Sérénité daigne approuver et
confirmer pour toujours, de son autorité apostolique, ce
que, de concert avec plusieurs personnes pieuses et
éclairées, nous avons jugé, à propos de décider. Dans la
France entière, il n'est presque pas une ville, une
bourgade, un château même où l'on n'entende de simples
écoliers, non pas des hommes versés dans la connaissance
des lettres ou recommandables par leur âge, mais des
enfants, des gens simples et sans lettres, des insensés
même disputer, non seulement dans l'intérieur des
écoles, mais en public et dans les carrefours, sur le
mystère de la sainte Trinité, qui n'est autre que Dieu
même, et avancer mille propositions non moins contraires
à la raison qu'aux enseignements de la foi catholique et
à la doctrine des saints Pères. C'est en vain que les
personnes bien pensantes les avertissaient, les
reprenaient et les exhortaient à renoncer à toutes ces
inepties (a) ; ces dogmatiseurs semblaient ne s'en
montrer que plus ardents encore; forts de l'autorité de
leur maître, Pierre Abélard, et s'appuyant sur son
livre. intitulé sa Théologie, ainsi que sur plusieurs
autres ouvrages du même genre, ils s'obstinaient tous
les jours davantage, au grand détriment des âmes, à
soutenir et à défendre leurs dangereuses nouveautés.
Émus, alarmés même de cet état de choses, nous n'osions
pourtant, non plus que ceux qui partageaient nos
sentiments, agiter ces questions délicates et brûlantes.
2. Mais l'abbé de Clairvaux, qui avait
beaucoup entendu parler de ces choses, étant tombé, par
hasard, sur le fameux livre que maître Abélard appelle
sa Théologie et sur plusieurs autres de ses ouvrages,
les lut avec attention et se crut obligé de faire
d'abord en secret une réprimande à l'auteur, puis, selon
le précepte de l'Évangile, de le reprendre une seconde
fois, en présence de deux ou trois témoins, en
l'invitant avec douceur et bonté à détourner ses
disciples de s'occuper de toutes ces questions et à
corriger ses livres : il exhorta même plusieurs de ses
partisans à renoncer à la lecture de ses écrits
empoisonnés, à se défaite de ses ouvrages et à se tenir
en garde contre une doctrine qui blessait la foi
catholique et même à y renoncer formellement. Mais ce
docteur se sentit blessé au vif par tout cela et ne put
se contenir ; dès lors il se mit à nous presser sans
relâche et ne se donna de cesse qu'il ne nous eût
décidés à écrire à l'abbé de Clairvaux au sujet de cette
affaire, pour l'assigner à comparaître devant nous le
jour de l'octave de la Pentecôte, à Sens, où il se
disait prêt, lui, Pierre Abélard, à. venir soutenir et
défendre les propositions que cet abbé avait
précédemment notées d'hérésie. De son côté, l'abbé de
Clairvaux ne prit l'engagement ni de rendre à Sens au
jour indiqué, ni d'accepter la discussion avec Pierre
Abélard. Mais, comme dans l'intervalle, ce dernier fit
appel à tous ses partisans en les invitant à se rendre
de tous côtés à la controverse qu'il allait avoir à
soutenir contre l'abbé de Clairvaux, et en les pressant
vivement de venir se grouper autour de lui pour donner,
par leur présence, plus de force à ses opinions et à son
système, l'abbé de Clairvaux, qui ne pouvait ignorer
toutes ces menées, craignit que son absence ne fût un
prétexte pour les sots et pour les partisans de ferreux.
de regarder toutes les propositions, ou plutôt toutes
les folies du maître, comme beaucoup plus fortes et plus
solides qu'elles ne l'étaient en effet, il se présenta
dans l'ardeur d'un saint zèle, de son propre mouvement
ou plutôt par un véritable mouvement du Saint-Esprit,
devant nous, à Sens, le jour même qui lui avait été
indiqué, mais pour lequel il n'avait d'abord voulu
prendre aucun engagement. Or ce jour-là, qui était celui
de l'octave de la Pentecôte, tous nos frères, les
suffragants de notre métropole, s'étaient réunis à nous
dans la ville de Sens pour contribuer par leur présence
à la pompe de la révélation des saintes reliques que
nous nous proposions de faire ce jour-là au peuple dans
notre église métropolitaine.
3. Ce fut donc en présence du glorieux
roi de France, Louis, du pieux Guillaume, comte de
Nevers, de monseigneur l'archevêque de Reims, accompagné
de quelques-uns de ses suffragants, devant nous et en
présence de tous les évêques nos suffragants, excepté
ceux de Nevers et de Paris, d'un grand nombre d'abbés
aussi distingués par leur science que par leur piété, et
de clercs fort instruits, que l'abbé de Clairvaux et
Pierre Abélard, suivi de ses partisans, firent leur
entrée dans l'assemblée. Pour abréger, le seigneur abbé
mit sous nos yeux lé livre de la Théologie de Pierre
Abélard, en signala plusieurs propositions qu'il
qualifiait d'absurdes et même de pleinement hérétiques,
et mit maître Pierre en demeure ou de nier qu'elles
étaient de sa plume, ou de les prouver, ou enfin de les
rétracter s'il reconnaissait les avoir écrites. Maître
Pierre, comme s'il ne fût pas bien sûr de lui-même,
commença par chercher des détours, et finalement refusa
de s'expliquer, quoiqu'il eût pleine liberté de le
faire, qu'il fût en lieu parfaitement sûr et qu'il eût
des juges équitables. Il aima mieux en appeler à Vous,
très saint Père, et se retira ensuite de l'assemblée
avec tous ceux qui l'y avaient suivi.
4. Pour nous, quoique cet appel ne nous
parût point canonique, nous nous sommes abstenus, par
respect pour le saint Siège apostolique, de prononcer
aucun jugement contre sa peine ; mais quant à ses
erreurs dogmatiques, qui déjà avaient infesté une foule
de personnes et pénétré jusqu'au fond du coeur d'un
grand nombre de gens, nous les avion; condamnées la
veille du jour où Abélard interjeta son appel; après les
avoir, à plusieurs reprises différentes, lues et relues
en pleine assemblée, et après avoir entendu par quelles
raisons excellentes et par quels arguments, tirés de
saint Augustin et des autres Pères le seigneur abbé de
Clairvaux en démontrait la fausseté et le sens
évidemment hérétique. Mais, comme ces erreurs entraînent
une infinité les d'âmes dans une voie on ne peut plus
pernicieuse et tout à fait damnable, nous vous prions
tous d'une voix, très saint Père, de les censurer de
votre propre autorité et de décerner des peines contre
quiconque s'opiniâtrera méchamment à les défendre. De
plus, si Votre Révérence jugeait à propos d'imposer
silence à leur auteur, de lui ôter le pouvoir
d'enseigner et d'écrire, de condamner ses ouvrages comme
remplis de dogmes impies, elle arracherait ainsi les
ronces et les épines du champ de l'Église et pourrait
encore jouir de la consolation de voir l'héritage du
Christ se couvrir de verdure, de fleurs et de fruits.
Nous vous adressons, très révérend Père, la liste de
quelques-unes des propositions que nous avons
condamnées, afin que par ces extraits vous puissiez vous
faire plus aisément une idée du reste de l'ouvrage.