Il
est honteux qu'Abélard puisse compter des partisans
jusque dans la cour de Rome.
A son très cher
Yves, par la grâce de Dieu cardinal-prêtre de l'Église
romaine, Bernard, abbé de Clairvaux, salut et voeu
sincère qu'il aime la justice et haïsse l'iniquité.
Maître Pierre Abélard est un moine sans règle et un
prélat n'ayant pas charge d'âmes, il n'est d'aucun ordre
et aucun ordre ne le reconnaît; c'est un composé
d'éléments opposés; sous l'extérieur de saint
Jean-Baptiste, il a l'âme d'Hérode; c'est un être ambigu
n'ayant de religieux que l'habit et le nom. Mais que
m'importe? A chacun son fardeau. Ce que je ne puis
taire, c'est un point qui intéresse tous ceux qui ont la
gloire du Christ à coeur. Il prêche hautement
l'iniquité, il altère l'intégrité de la foi et corrompt
la pureté de l'Église. Les bornes que nos Pères ont
posées ne l'arrêtent point, et quand il entreprend de
parler ou d'écrire sur la foi, les sacrements et la
sainte Trinité, il change tout à sa guise, ajoute ou
retranche selon qu'il lui plaît. Enfin partout dans ses
livres et dans ses écrits il se montre artisan de dogmes
impies. En un mot, on reconnaît en lui l'hérétique non
moins à son opiniâtreté à soutenir l'erreur qu'à
l'erreur même qu'il embrasse; toujours à une hauteur qui
dépasse les forces de son génie, il anéantit la vertu de
la croix de Notre Seigneur par ses raisonnements
captieux; bref il n'est rien dans le ciel et sur la
terre qui il ne connaisse, si ce n'est lui-même. Non
content d'avoir été condamné avec son livre à
Soissons en présence du légat du saint Siège, il
travaille à s'attirer de nouvelles censures, car ses
dernières erreurs sont pires encore que les premières.
Cependant il vit dans une assurance complète, parce
qu'il compte de nombreux disciples parmi les cardinaux
et les ecclésiastiques de la cour de Rome, et il se
flatte que ceux dont il devrait craindre les censures et
la condamnation seront les défenseurs de ses erreurs,
tant nouvelles qu'anciennes. Tout homme animé de
l'esprit de Dieu doit se rappeler ce verset du psaume
« N'ai-je pas été, Seigneur, l'ennemi de vos ennemis et
n'ai-je point ressenti contre eux les ardeurs d'un zèle
dévorant (Psalm. CXXXVIII, 21) ? » Dieu veuille se
servir de vous et de ses autres enfants pour mettre son
Église à l'abri des coups de langue des méchants et de
leurs discours pleins d'artifices
EUVRES COMPLÈTES
DE
SAINT BERNARD
TRADUCTION NOUVELLE PAR M.
L'ABBÉ CHARPENTIER
PARIS,
LIBRAIRIE LOUIS DE VIVÈS, ÉDITEUR , 9, Rue
Delambre, 9, 1866
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/index.htm
Pour les commentaires de Horstius et Mabillon, se
reporter au site de l'abbaye Saint-Benoit
qui a mis en ligne cette traduction, 08/12/2003
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