LETTRE A MAÎTRE YVES
 CARDINAL, SUR ABÉLARD

Lettre 193.

Il était chanoine de Saint-Victor de Paris quand il devint, en 1130, cardinal du titre de Saint-Laurent in Damaso. il est parlé de lui dans la lettre cent quarante-quatrième: Envoyé en France en qualité de légat du saint Siége, il excommunia le comte de Saint-Quentin. Voir la lettre deux cent seizième, et, pour son testament, la lettre deux cent dix-huitième.

 

Il est honteux qu'Abélard puisse compter des partisans jusque dans la cour de Rome.

 

A son très cher Yves, par la grâce de Dieu cardinal-prêtre de l'Église romaine, Bernard, abbé de Clairvaux, salut et voeu sincère qu'il aime la justice et haïsse l'iniquité.

 

Maître Pierre Abélard est un moine sans règle et un prélat n'ayant pas charge d'âmes, il n'est d'aucun ordre et aucun ordre ne le reconnaît; c'est un composé d'éléments opposés; sous l'extérieur de saint Jean-Baptiste, il a l'âme d'Hérode; c'est un être ambigu n'ayant de religieux que l'habit et le nom. Mais que m'importe? A chacun son fardeau. Ce que je ne puis taire, c'est un point qui intéresse tous ceux qui ont la gloire du Christ à coeur. Il prêche hautement l'iniquité, il altère l'intégrité de la foi et corrompt la pureté de l'Église. Les bornes que nos Pères ont posées ne l'arrêtent point, et quand il entreprend de parler ou d'écrire sur la foi, les sacrements et la sainte Trinité, il change tout à sa guise, ajoute ou retranche selon qu'il lui plaît. Enfin partout dans ses livres et dans ses écrits il se montre artisan de dogmes impies. En un mot, on reconnaît en lui l'hérétique non moins à son opiniâtreté à soutenir l'erreur qu'à l'erreur même qu'il embrasse; toujours à une hauteur qui dépasse les forces de son génie, il anéantit la vertu de la croix de Notre Seigneur par ses raisonnements captieux; bref il n'est rien dans le ciel et sur la terre qui il ne connaisse, si ce n'est lui-même. Non content d'avoir été condamné avec son livre à Soissons en présence du légat du saint Siège, il travaille à s'attirer de nouvelles censures, car ses dernières erreurs sont pires encore que les premières. Cependant il vit dans une assurance complète, parce qu'il compte de nombreux disciples parmi les cardinaux et les ecclésiastiques de la cour de Rome, et il se flatte que ceux dont il devrait craindre les censures et la condamnation seront les défenseurs de ses erreurs, tant nouvelles qu'anciennes. Tout homme animé de l'esprit de Dieu doit se rappeler ce verset du psaume « N'ai-je pas été, Seigneur, l'ennemi de vos ennemis et n'ai-je point ressenti contre eux les ardeurs d'un zèle dévorant (Psalm. CXXXVIII, 21) ? » Dieu veuille se servir de vous et de ses autres enfants pour mettre son Église à l'abri des coups de langue des méchants et de leurs discours pleins d'artifices

EUVRES COMPLÈTES
DE
SAINT BERNARD
TRADUCTION NOUVELLE PAR M. L'ABBÉ CHARPENTIER
PARIS,  LIBRAIRIE LOUIS DE VIVÈS, ÉDITEUR , 9, Rue Delambre, 9, 1866

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/index.htm

Pour les commentaires de Horstius et Mabillon, se reporter au site de l'abbaye Saint-Benoit
qui a mis en ligne cette traduction, 08/12/2003

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