LA MINIATURE DE CHANTILLY XIVe
§

ROMAN DE LA ROSE XIIIe

 

Sans doute une des plus anciennes représentations iconographiques
et sans doute aussi le plus ancien récit
de l'aventure amoureuse d'Abélard et d'Héloïse
Titre : Jean de Meung :
" Le roman de la Rose, le testament "
Héloïse et Abélard
Manuscrit 482/665 fol.60 V°
Date : XIVeme
Musée Condé, CHANTILLY

Cliché : Giraudon
 

Texte sous la miniature :
" Pierres Abailarz reconfesse
Que seur Helois, abaesse
Dou Paraclit,qui fu s’amie
Accorder ne se voulait mie
Pour riens qu’il la preïst a fame
Ains li faisait le jenne dame
Bien entendanz et bien amée
Argumens a lui chastier
Qu’il se gardast de marier ; "


Le Roman de la Rose est daté de 1290

Commentaire :
D’après Charlotte Charrier, "Héloïse dans l'histoire et dans la légende" p. 379
Sur les 22 000 octosyllabes du roman de la Rose, 74 vers sont consacrés par Jean de Meung pour relater l’histoire d’Héloïse et d’Abélard. Lui-même adversaire du mariage, dit son admiration pour la merveilleuse parole de celle qui a refusé le mariage et voulait " Estre ta putain apelée "

.Jean de Meung fera, de plus, la première traduction en Français de " l’historia calamitatum " d’Abélard et des 7 autres lettres de la correspondance entre Héloïse et Abélard.
(Eric HICKS, 1991)

Le texte de Jean de Meung
"Roman de la Rose"
du vers 8763 au vers 8837

Pierre Abaalars reconfesse
Que suer Heloÿs, abbaesse
Dou Paraclet, qui fu s'a mie,
Acorder ne se voloit mie
Pour riens qu'il la preïst a fame;
Ainz li faisoit la jeune dame
Bien entendant et bien lettrée
Et bien amant et bien amée
,Argumenz à lui chastier
Qu'il se gardast de marier,
Et li prouvoit par escriptures
Et par raisons, que trop sont dures
Condicions de mariage,
Con bien que fames soient sages
Car les livres avoit  veüz
 Et estudiez et seüz
Et les meurs femenins savoit,
Car trestouz en soit les avoit.
Et requerroit que il l'amast
Mais que nul droit n'i reclamast
Fors que de grace et de franchise,
Sanz seignorie et sanz maistrise
Si qu'il pouist estudier
Tous suens, tous frans, sanz soi lier
Et qu'el rentendist a l'estuide,
Car de science n'ert pas vuide.
Et li redisoit toutes voies
que plus plaisanz erent les voies
Et li soulaz plus acroissoient
Quant plus a tart s'entreveoient.
Mais il, si com escrit nous a,
Tant l'amoit que puis l'espousa
Contre son amonestement.
Si l'en mescheÿ malement,
Car puis qu'el fu, si com moi samble,
Par l'acort d'ambedeus ensamble,
D'Argentuill nonnain revestue,
Fu la coille a Pierre tolue
A Paris en son lit de nuiz,
Dont mout ot travals et ennuiz
 

Et fu puis ceste mescheance
Moines de Saint Denis en France
Puis abes d'une autre abaÿe
Puis apres fonda, a sa vie,
Une abaÿe renommée,
Qui dou Paraclit nommée
Dont Heloÿs fu abaesse,
Qui devant ert nonnain professe.

Ele meïsmes le raconte
En escrit et n'en a pas honte,
A son ami que tant amoit
Que pere et seigneur le clamoit,
 Une merveilleuse parole,
Que mout de gent tendront a fole,
Qu'il est escrit  en ses espitres,
Qui bien cercheroit les chapistres,

Qu'ele li manda par lettre expresse,
Puis qu'ele fu neïs abeesse :
"Se li empereres de Romme
Souz qui doivent estre tuit homme
 
Me daignoit vouloir prendre a fame
Et faire moi du momde dame,
Si voudroie je mieus, dist ele
Et dieu a tesmoing en apele
Estre ta putain apelée,
Qu'empereriz coronnée."
Mais je ne croie mie, par m'ame,
C'onques puis fust une tel dame.
Si croi je que la letreüre
La mist a ce que sa nature,
Que des meurs femenins avoit,
Vaintre et donter mieus en savoit.
 Ceste, se pierres la creüst,
Ainc espousée ne l'eüst.
                        

Mariages est mals liens

in "Le Roman de la Rose" Guillaume de Lorris et Jean de Meun, par Armand Strubel , le livre de poche 2017
 

Traduction

           "Pierre Abélard confesse de son côté que soeur Héloïse, abbesse du Paraclet, qui fut son amie ne voulait pas consentir à devenir son épouse. La jeune femme qui était très intelligente et très lettrée, lui donnait des arguments pour le détourner du mariage et lui prouvait par des textes que les conditions de l'état conjugal sont trop rigoureuses, même quand la femme est est sage, car elle avait beaucoup appris dans les livres et beaucoup retenu; et elle connaissait les moeurs féminines car elle les avait toutes en soi.

          Et elle le priait qu'il l'aimât mais qu'il se réclamât, non d'un droit de seigneur et maître, mais seulement d'une faveur librement accordée de telle sorte qu'il pût étudier sans entraves et qu'elle aussi s'appliquât à l'étude. Et elle lui disait encore que leurs plaisirs seraient d'autant plus vifs et leur félicité d'autant plus grande que leurs entrevues seraient plus rares
                                                                                                                                  Jean de Meung

          Mais Abélard qui l'aimait tant, comme in nous l'a écrit, l'épousa depuis, contre sa recommandation; et cela lui a porté malheur, car après qu'elle fut devenue, par un commun accord, professe à Argenteuil,  Pierre fut mutilé nuitamment dans son lit, à Paris, dont il eut de terribles tourments. Il fut moine à St-Denis en France, puis abbé d'une autre abbaye, puis il fonda le fameux Paraclet dont Héloïse fut abbesse.

          Elle-même raconte et elle écrit, et n'en a pas honte, à son ami quelle aimait tant, qu'elle le nommait son père et seigneur, en une merveilleuse formule que bien des gens considèreront comme folle. Il est écrit en effet dans ses épitres, si l'on en consulte bien les chapitres, qu'elle lui fit parvenir par lettre expresse, une fois même qu'elle fut abbesse, le message suivant :

          "Si l'empereur de Rome auquel tous les hommes doivent obéissance daignait me prendre pour femme et faire de moi la maitresse du monde, je préfèrerais, et j'en appelle Dieu à témoin, être appelée ta putain qu'impératrice couronnée."

          Mais je ne crois pas sur mon âme, qu'il ait existé depuis femme pareille. Aussi suis-je persuadé que c'est l'instruction qui l'a mise en état de mieux être capable de vaincre et dompter sa nature qui tenait de l'éternel féminin. Cette femme exceptionnelle, si Pierre l'avait crue, il ne l'aurait jamais épousée.
Le mariage est un lien détestable.
"

in Abélard, Héloïse et Bernard, Georges Minois,2019  p. 160

 

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