Rotula
Le rouleau obituaire du bienheureux VITAL de Mortain, abbé de Savigny, mort en 1122
Bibliothèque nationale, collection Baluze 45, fasc. 371-389

Quand mourrait un grand dignitaire ecclésiastique, prieur, abbé, évêque, le moine le plus lettré du couvent auquel il appartenait composait alors son panégyrique qu'il transcrivait ensuite en tête d'une longue bande de parchemin. il s'agissait alors de recommander le défunt à la charité de ses frères et de leur réclamer des prières pour le salut de son âme.

On roulait la bande de parchemin sur un cylindre, on confiait le rouleau à l'un des moines de l'abbaye et celui-ci partait pour un long voyage.

En l'an 1122, le 16 des calendes d'octobre, mourait en odeur de sainteté, le bienheureux Vital fondateur de l'abbaye de Savigny, au diocèse d'Avranches.

Le rouleau du bienheureux Vital mesure 9.50 m de long. Sa largeur n'est que de 0.225 m.

Vers 1123, sans doute, le rouleau du bienheureux Vital arrive à l'abbaye d'Argenteuil. À cette date, il est certain qu'Héloïse faisait partie de ce couvent comme religieuse, ou peut-être déjà comme prieure. Il est plus que probable qu'elle eut ce rouleau entre les mains. Maintenant, est-ce elle qui rédigea le Titre de l'abbaye d'Argenteuil, qui composa l'élégie jointe au Titre et, dans l'affirmative, est-ce elle qui transcrivit ce texte sur le rouleau ? C'est là une supposition fort vraisemblable, mais rien ne nous permettra de l'affirmer avec certitude.

 

Titulus ecclesie sancte Marie Argentoilensis cenobii ...

Titre du monastère de Sainte-Marie d'Argenteuil

" Que l'âme du seigneur Abbé repose avec les âmes de tous les fidèles défunts dans cette paix véritable qui est le Christ lui-même. Nous avons prié pour les vôtres, priez pour nous et ceux qui nous sont chers, le comte Baudoin, les abbesses Basilie, Adèle et Judith, les religieuses Helvide et Adèle, la doyenne Eremburge, Adélaïde et Havide, le laïc Dodon et pour tous ceux dont Dieu aura écrit les noms au Livre de la vie. Ainsi soit-il.

" Le troupeau désolé pleure la perte de son doux pasteur: consoler
" ses pauvres brebis, c'est un devoir pour le peuple fidèle.
" Hélas, celui que la Mort vient d'enlever de sa vorace morsure,
" ni le chagrin, ni les plaintes ne le rendront à la vie.
" Alors pourquoi ces larmes? A quoi bon toutes ces grandes douleurs ?
" La tristesse ne sert à rien, elle est nuisible au contraire.
" Et pourtant, malgré l'inutilité des soupirs, il est humain de
" s'affliger sur la mort d'un père.
" Mais se réjouir est également pieux, si le pouvoir de la raison
" est assez fort pour vaincre celui des pleurs.
" Mourir ainsi, en effet, n'est pas mourir, c'est vivre,
" car celui qui meurt au monde vit en Dieu.
" Qu'il prie pour nous comme nous prions toutes pour qu'ensemble,
"nous parvenions au Christ (à la vie éternelle). Ainsi soit-il.

L'inspiration de cette élégie est noble, simple et touchante, les vers ne manquant pas d'un charme doux, triste et lent, bien en rapport avec la funèbre mélancolie du sujet; les sentiments exprimés sont charitables et chrétiens. Ils vont de la compréhension la plus généreuse de nos faiblesses à la plus surhumaine espérance. Le plan en est aisé à saisir. Après la constatation du chagrin causé par le deuil, c'est l'exposé symétrique des deux sentiments qui se disputent l'âme du chrétien à la mort d'un être cher: la douleur de l'avoir perdu, et la consolation de penser qu'il jouit désormais d'une vie surnaturelle, lieux communs, vérités assez banales en somme, mais très correctement exprimés et relevés par la noblesse du style.

In Charlotte CHARRIER, " Héloïse dans l'histoire et dans la légende ", Paris, 1933, p. 149

 

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