Laon  1113

Abélard aborde la théologie


Les sept arts, vitrail de la cathédrale de Laon, transept nord
Le Quadrivium musique,géométrie,arithmétique et astronomie
et le Trivium rhétorique, grammaire et dialectique

Les Sept Arts

En 1112, Abélard a dû quitter Sainte-Geneviève où il enseignait le Trivium : la grammaire, la rhétorique et la dialectique, pour un voyage au Pallet où son père et sa mère s'apprêtaient l'un et l'autre à entrer dans un monastère.
Plutôt que de revenir dans l'Île de France comme maître, il voulu compléter sa formation en abordant un domaine qu'il ne connaissait pas encore, la théologie, et en se faisant de nouveau élève et disciple. Cette nouvelle orientation cachait peut-être aussi une ambition, car il n'était pas possible d'accéder aux plus hautes charges ecclésiastiques, chanoine, évêque, sans avoir fréquenté la Bible, sans avoir acquis une compétence dans le commentaire du texte sacré, de la sacra pagina.
Anselme de Laon avait été le maître de Guillaume de Champeaux. Abélard irait donc s'asseoir aux pieds du maître de son maître pour s'initier au commentaire de la Bible.

Laon est un centre de pensée universitaire très important au Moyen Âge. Les arts du trivium (études des voces, des mots) la rhétorique avec les livres des discours des Anciens, la grammaire brandissant ses verges au-dessus de deux enfants, la dialectique levant les bras avec véhémence, préparent les étudiants à affronter le quadrivium (études des res, les choses)  comprenant l'astronomie élevant à la hauteur de son visage l'astrolabe, l'arithmétique montrant les plans de l'abaque dans les mains, la médecine ajoutée aux sept arts, faisant une analyse avec un urinal, la géométrie ou architecture traçant un dessin avec un compas,  et la musique frappant d'un marteau un tintinnabulum. Au centre la sagesse ou philosophie porte dans la main gauche les livres saints et dans la main droite le sceptre royal. Ses pieds touchent terre mais sa tête pénètre dans les nuages car elle voit Dieu. Dressée contre son corps une échelle dont il faut gravir les barreaux des arts libéraux qui sont autant d'étapes pour atteindre la sagesse dans la contemplation céleste.
Cette rose composée d'un oculus entouré de huit oculi plus petits fut exécutée vers 1180 par Pierre d'Arras.

D'après "la cathédrale de Laon" par Suzanne Martinet - édition art et tourisme

Anselme de Laon 1055-1117

Anselme enseigne à Laon avec son frère Raoul de 1090 jusqu'à sa mort. Il est doyen et chancelier de Laon à partir de 1109. Archidiacre à partir de 1115. Le liber pancrisis, vers 1120, le cite parmi les trois maîtres modernes avec Yves de Chartres et Guillaume de Champeaux et lui attribue une soixantaine de sentences. Sans doute ne faut-il pas se fier trop facilement au portrait très critique qu'en fait Abélard. Anselme a mené une carrière tout à fait brillante à l'échelon du diocèse. La modestie d'Anselme, qui confine à l'effacement demeure proverbiale dans les écoles et participe de son autorité.





La rue Abélard à Laon, près de la cathédrale

 L'autorité magistrale que les témoins médiévaux ont le plus souvent reconnu à Anselme s'explique sans doute par la modération à laquelle il s'est tenu. Le maître s'affirme en tant que modeste continuateur des Pères. Que ce soit comme glossateur ou créateur de sentences, Anselme de Laon apparaît comme un expert es autorités et orchestre leur polyphonie en harmonisant les contraires; Derrière un programme en apparence limité, organiser les extraits autour du texte biblique ou les concilier dans de courtes sentences, Anselme confère à la parole magistrale une  autorité certaine.
Cédric Giraud, thèse de doctorat en Sorbonne, "Per verba magistri", 2006

La révolte communale de Laon

Anselme n'est pas un moine, mais un séculier. A ce titre il a été mêlé à la révolte communale de 1112, racontée par Guibert de Nogent. Le 26 avril 1112, le peuple de Laon se soulève contre l'évêque Gaudry qui en est le seigneur, tyran cruel et rapace. Les révoltés bourgeois le poursuivent et finissent par le tuer dans son cellier. Anselme est doyen du chapitre mais reste discret et se tient en dehors du conflit. Auparavant, Il avait d'ailleurs été opposé à l'élection de Gaudry mais il obtient une sépulture décente pour Gaudry. Son attitude conciliatrice fera de lui un artisan de la pacification des esprits. En 1115 le roi Louis VI envoie Etienne de Garlande pour pacifier la cité et accorde en 1128 accorde une charte de paix.
Abélard ne dit mot de cette révolte ni pour critiquer ou féliciter Anselme de son rôle qui apparaît cependant important et bénéfique pour Laon. Abélard est-il partial ou simplement indifférent à ces évènements politiques ?Est-ce que le récit de Guibert de Nogent n'a pas démesurément amplifier des événements mineurs qui n'ont pas été confirmés par les fouilles archéologiques : pas de traces d'incendie. Quoiqu'il en soit, Jacques Verger dans "l'amour castré" analyse cette attitude d'Abélard et demande donc d'être prudent quand on veut associer l'audace intellectuelle d'Abélard au mouvement d'émancipation des communes et à l'essor économique de ce début du XIIe siècle.
 

Le récit d'Abélard

J'allai donc entendre ce vénérable vieillard. C'était à la routine, il est vrai, plutôt qu'à l'intelligence et à la mémoire qu'il devait sa réputation. Allait on frapper à sa porte et le consulter sur une question douteuse, on en revenait avec plus de doutes. Admirable aux yeux d'un auditoire, dans une entrevue de consultation il était nul. Il avait une merveilleuse facilité de parole, mais le fond était sans valeur et manquait de sens. Lorsqu'il allumait un feu, il remplissait la maison de fumée, mais ne l'éclairait pas. C'était un arbre tout en feuilles qui, de loin, présentait un aspect imposant : de près, et quand on l'examinait avec attention, on le trouvait stérile. je m'en étais approché pour recueillir du fruit ; je reconnus que c'était le figuier maudit par le Seigneur, ou le vieux chêne auquel Lucain compare Pompée dans ces  vers : "Ce n'est plus que l'ombre d'un grand nom : tel le chêne altier dans une campagne féconde." Historia calamitatum

Abélard exégète d'Ézéchiel

On voit que la critique d'Abélard est féroce. Il va pousser encore plus loin son opposition au maître en s'autorisant, défié par certains étudiants, à faire lui-même un commentaire d'un texte de l'Écriture : une obscure prophétie d'Ézéchiel.
"J'étais extrêmement étonné que des gens instruits ne se contentassent point, pour expliquer la Bible, du texte même et de la glose, et qu'il leur fallût un commentaire."
En une nuit Abélard prépare son propre commentaire et le lendemain le succès est total :
Cependant, tous ceux qui m'entendirent furent tellement ravis de cette séance, qu'ils en firent un éloge éclatant, et m'engagèrent à donner suite à mon commentaire suivant la même méthode. La chose ébruitée, ceux qui n'avaient pas assisté à la première leçon s'empressèrent à la seconde et à la troisième, tous transcrivant les gloses et particulièrement jaloux de retrouver ce que j'avais dit au début de ce cours.

Comme toujours dans "l'historia calamitatum", le succès d'Abélard déclanche la jalousie de ses adversaires. Deux condisciples - que nous retrouverons au concile de Soissons en 1121, huit ans plus tard - monteront contre lui une cabale. Ce sont Albéric de Reims et Lotulfle de Lombardie. Ils dénoncent le cours clandestin d'Abélard auprès d'Anselme et celui-ci interdit sur le champ au néophyte en exégèse de continuer un  cours qui fait concurrence au sien.

La méthode d'Abélard était en effet nouvelle :Il ne se contentait pas de multiplier les gloses qui par elles-mêmes ne garantissaient pas une pleine intelligence du texte. Il entendait s'appuyer sur une pratique sure du raisonnement juste, car c'était du texte lui-même, interrogé avec toutes les ressources de la dialectique, que l'on pouvait extraire le sens de l'Écriture. "Au labeur de fourmi du compilateur, il substituait le libre exercice de la raison, à la patience du glosateur, la vivacité du dialecticien, à l'interminable paraphrase anselmienne, la rigueur de la démonstration et le déploiement fulgurant du sens."  Jacques Verger, L'amour castré, p.25

Réduit au silence, Abélard retourne à Paris, sans doute dès 1114 !

Laon aujourd'hui

La cathédrale gothique de Laon, perchée sur le promontoire rocheux à cent mètres au-dessus de la plaine de Picardie, n'existait pas au temps d'Abélard. Elle ne fut commencée en 1153 par l'évêque Gauthier de Mortagne et terminée en 1235. Mais Laon était cependant au début du XIIe siècle une ville intellectuelle et commerciale, active et vivante. Cette ancienne capitale des carolingiens restera une résidence des premiers capétiens. Louis VII y construira un palais.
 


Laon - Le Cloître


Laon - la nef de la cathédrale


Laon - Le transept nord


Abbaye Saint-Martin, façade


Abbaye Saint-Martin - sud


Porche de la cathédrale


Laon - vue générale


Laon - façade de la cathédrale


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