La chronique
d'Othon de Frisingen

 

Othon né en 1109, évêque de Freising (dans la périphérie de Munich) mort en 1158 a été élève d'Abélard. Il attache tellement d'importance à Abélard qu'il inclut un récit de sa carrière dans le livre introductif à la vie de Frédéric Barberousse.  Othon ne connaît rien des sentiments profonds d'Héloïse ... son unique source d'information en la matière était probablement les chansons d'amour d'Abélard, aujourd'hui perdues,  que l'on chantait encore au début des années 1130 quand  Othon faisait ses études en France. M. Clanchy

 

L'extrait suivant de la chronique d'Othon de Frisigen a été écrite par un contemporain d'Héloïse et d'Abélard.

 

CHAPITRE XLVII

 

Bernard était alors abbé de Clairvaux. Son zèle ombrageux pour la religion chrétienne aussi bien que sa douceur naturelle le rendaient en quelque sorte crédule. Il avait en horreur les Maîtres qui étaient trop attachés à la raison humaine et avaient trop de confiance dans la sagesse du siècle. Aussi prêtait-il facilement l'oreille à toutes les accusations dirigées contre eux au sujet de la foi chrétienne. Ce fut à son instigation que... les évêques de France d'abord, le Pontife Romain ensuite imposèrent le silence à Pierre Abélard. Ce Pierre était de la province de Gaule que ses habitants appellent maintenant Bretagne ; fidèle à son origine - cette terre est riche en clercs d'un esprit vif, doués pour les arts libéraux mais inaptes à toutes es autres formes de l'activité -Othon de Freisingen - celui‑ci, dès son jeune âge s'adonna tout entier à l'étude des lettres et autres exercices de l'esprit; mais il était si arrogant et si plein de confiance dans son génie qu'il consentait à peine à descendre des hauteurs de son intelligence pour écouter les leçons de ses maîtres. Il eut d'abord pour précepteur un certain Roscelin qui le premier dans notre siècle introduisit dans la Logique le système nominaliste (doctrine d'après laquelle les gens et les espèces ou « universaux » n'existent que de nom) il visita ensuite les savants professeurs Anselme de Laon et Guillaume de Champeaux évêque de Chalon ; il se lassa de leurs graves enseignements parce qu'à ses yeux, ils manquaient de finesse et de subtilité. Puis, maître lui‑même, il vint à Paris où non seulement il manifesta une grande sagacité en matière de philosophie, mais aussi amusa les esprits par les jeux de la dialectique. Maltraité en une circonstance bien connue, il devint moine dans le monastère de Saint‑Denis.

 

.Là, se consacrant, nuit et jour, à la lecture et à la méditation, il aiguisa son esprit déjà si pénétrant, il enrichit le trésor de sa science et, bientôt délivré de l'obéissance envers son abbé, il se présenta de nouveau en public et reprit le cours de son enseignement.

 

Partisan du nominalisme dans le domaine des sciences naturelles, il l'appliqua témérairement à la théologie. Ainsi il enseigna et écrivit sur la Sainte Trinité : Les trois personnes, pour l'Église, ne sont pas seulement des noms vides de contenu mais elles constituent trois réalités distinctes et possédant leurs propres caractères. Jusqu'alors il l'avait pieusement cru et fidèlement enseigné. Il affaiblit cette vérité, usant d'exemples mal choisis entre autres : «De même que le même propos est à la fois la majeure, la mineure et la conclusion d'un syllogisme, de même la même essence se trouve dans le Père et dans le Fils et dans le Saint‑Esprit.» Dans le Synode provincial réuni contre lui sous la présidence du Légat du Saint-Siège qui groupait des hommes éminents et des maîtres renommés tels Albéric de Reims et Lotulfe de Novare, il fut déclaré hérétique sabellien (hérésiarque, du IlIe siècle qui niait la distinction entre les trois personnes de la Trinité) et forcé par les évêques de jeter de sa propre main au feu le livre qu'il avait composé. La possibilité de se justifier lui fut refusée tant on avait peur de son habileté consommée dans la discussion. Ces événements se passèrent sous le roi des Francs Louis (le roi de France Louis VI le Gros).


                                                                                         CHAPITRE XLVIII


Plus tard, ses leçons qu'il avait depuis longtemps reprises, attirèrent de telles foules d'auditeurs que sous le pontificat d'Innocent (II) sous le règne du roi Louis (VII) et le gouvernement du comte Thibaut (Il de Champagne), il fut convoqué devant un nouveau concile réuni à Sens à l'instigation des évêques et de l'abbé de Clairvaux et auquel assistait le roi Louis, le comte palatin Thibaut et une foule de nobles et autres gens. Pendant qu'on discutait sa doctrine, craignant une sédition populaire, il fit appel au Siège Apostolique. Mais les évêques et l'abbé de Clairvaux envoyèrent une mission à Rome et, sur les chefs d'accusation portés contre lui, ils obtinrent sa condamnation.

 

CHAPITRE XLIX

 

Pierre (Abélard) apprenant la confirmation, par l'église Romaine, de sa condamnation se retira dans le monastère de Cluny où il composa une Apologie où il rejetait en partie les textes hérétiques qu'on lui attribuait ...

 

Peu de temps après, il mourut dans le même monastère, en présence de ses frères et dans des sentiments d'humilité et de foi.


Textes choisis, présentés et partiellement établis par Louis Stouff
Traduction par Louis Stouff, Héloïse et Abélard : lettres, 10/18, UGE 1964, p.299

 

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