Vivant Denon et son reliquaire

Le reliquaire de Vivant Denon, 1747-1826, qui a été découvert en 1826 par ses héritiers et qui contenait entre autres objets bizarres des petits bouts d'ossements d'Héloïse et d'Abélard n'a pas manqué d'intriguer les historiens de Denon, voire des romanciers.


Robert Lefevre 1756-1830
Dominique Vivant Denon avec une oeuvre de Poussin
huile sur toile
Musée national du château de Versailles

Le personnage
Fils d'un bourgeois bourguignon, graveur à l'eau-forte, Vivant Denon a connu l'ancien régime : Louis XV, Louis XVI- il fut secrétaire d'ambassade en Russie, puis passa au service de Vergennes. Il sauva sa tête pendant la Révolution et la Terreur grâce à la protection de David. Pendant le Directoire il accompagna, comme dessinateur, le général  Bonaparte en Égypte. C'est l'Empire enfin qui lui procure le couronnement de sa carrière. Napoléon Ier le fait baron d'empire et le nomme Directeur Général des Musées. Il est le premier organisateur du musée du Louvre.
Célibataire et libertin, archéologue amateur, homme de goût, aimable épicurien, excellent dessinateur et bon administrateur, Vinant Denon collectionne pour sa résidence du quai Voltaire les tableaux de maîtres en grand nombre, Raphaël, Corrège, Caravage, Titien, Véronèse, Rembrandt, Breughel, Rubens etc.  Mais en même temps cet adepte de la franc-maçonnerie réunit des "reliques" hétéroclites, sorte d'objets fétiches d'une nouvelle religion privé, un panthéon concentré à la mémoire des grands hommes ou des grandes figures dans le temps.

Philippe Sollers
Dans "le Cavalier du Louvre", Paris, Gallimard 1995, page 32 et 33, biographie de Vivant Denon, Philippe Sollers écrit :

Un reliquaire ? Mais oui. Dans la vente de 1826 qui disperse, après sa mort, son impressionnante collection personnelle, on trouve un reliquaire gothique, en cuivre doré, de la fin du XVe siècle ou commencement du XVIe. Pas de doute, il s'agit bien d'une sorte de culte personnel de notre Vivant en plein recueillement fétichiste. Il est devenu, entre-temps, outre G.O.D.R., membre de l'Ancienne Académie de peinture de l'Institut de France, membre fondateur de l'Institut d'Égypte, Directeur général des Musées Impériaux et Royaux, de la Monnaie, des Médailles, de Sèvres, des Gobelins, Officier de la Légion d'Honneur, Chevalier des ordres de Sainte‑Anne de Russie et de la Couronne de Bavière. N'en jetez plus ! Et pourtant, il y a encore autre chose.

Voici la description de cet objet hypersurréaliste, et dites-moi, donc, si je n'ai pas raison de parler de roman
:.

 

 

 

 

 

 

 

 

Fragonard Alexandre Évariste 1780-1850
Vivant Denon replaçant les restes du Cid
dans leur tombe - 1811
Musée Antoine Lecuyer - St-Quentin
© Web Gallery of Art,

«Reliquaire de forme hexagonale et de travail gothique, flanqué à ses angles de six tourillons attachés par des arcs-boutants à un couronnement composé d'un petit édifice surmonté de la croix: les deux faces principales de ce reliquaire sont divisées chacune en six compartiments, et contiennent les objets suivants.

‑ Fragments d'os du Cid et de Chimène trouvés dans leur sépulture, à Burgos.

Fragments d'os d'Héloïse et d'Abélard, extraits de leurs tombeaux, au Paraclet.

‑ Cheveux d'Agnès Sorel, inhumée à Loches, et d'Inès de Castro, à Alcobaça.

‑ Partie de la moustache de Henri IV, roi de France, qui avait été trouvée tout entière lors de l'ex­humation des corps des rois à Saint‑Denis, en 1793.

- Fragment du linceul de Turenne.

- Fragments d'os de Molière et de La Fontaine.

- Cheveux du général Desaix. »

Deux des faces latérales du même objet sont remplies:
‑ L'une par la signature autographe de Napoléon.
‑ L'autre par un morceau ensanglanté de la chemise qu'il portait au moment de sa mort, une mèche de ses cheveux et une feuille du saule sous lequel il repose dans l'île de Sainte‑Hélène."

À cette énumération, déjà longue, il conviendrait d'ajouter encore la moitié d'une dent de Voltaire, classée sous le numéro 1379 du même catalogue, parmi les "objets omis" et porté comme devant faire partie des souvenirs historiques décrits dans l'article qui précède. Cette dent de Voltaire fut vendue avec ce lot, en 1826.

On trouve ce texte fabuleux dans La Relique de Molière du cabinet du baron Vivant Denon, publié en 1880, à Paris, par Ulric Richard‑Desaix, descendant du général du même nom. Plaisanterie? Nullement. Humour? Ce n'est pas exclu. Folie ? Pourquoi pas. Manie ? Oui, et alors ? Message indirect? Bien sûr.

Alexandre Dumas (père)

Alexandre Dumas 1802-1870, l'auteur connu des Trois mousquetaires, du Comte de Monte Christo, du Collier de la reine et de tant d'autres romans à succès a également écrit, en collaboration avec Paul Bocage et Paul Lacroix, sous forme de feuilleton, un recueil d'histoires fantastiques les mille-et-un fantômes,1849.
On y trouve quinze chapitres avec des revenants, des fantômes, des squelettes. Ces histoires sont parfois de pure imagination et parfois s'inspire de l'actualité. Le fantôme d'Alexandre Lenoir fait son apparition dans le chapitre IV sur la maison de Scarron.


Alexandre Dumas Père

Et je montrai du doigt à mon hôte un véritable spectre ambulant qui venait rejoindre les deux causeurs, et qui posait avec précaution son pied entre les fleurs, sur lesquelles il semblait pouvoir marcher sans les courber.
- Celui-ci, me dit-il, c'est encore un ami à moi, le chevalier Lenoir...
- Le créateur du musée des Petits-Augustins ?...
- Lui-même. Il meurt de chagrin de la dispersion de son musée, pour lequel il a, en 92 et 94, dix fois manqué d'être tué. La Restauration, avec son intelligence ordinaire, l'a fait fermer, avec ordre de rendre les monuments aux édifices auxquels ils appartenaient, et aux familles qui avaient des droits pour les réclamer. Malheureusement, la plupart des monuments étaient détruits, la plupart des familles étaient éteintes, de sorte que les fragments les plus curieux de notre antique sculpture, et par conséquent de notre histoire, ont été dispersés, perdus. C'est ainsi que tout s'en va de notre vieille France ; il ne restait plus que ces fragments, et de ces fragments il ne restera bientôt plus rien ; et quels sont ceux qui détruisent ? ceux-là mêmes qui auraient le plus d'intérêt à la conservation.
 

Quelques pages plus haut, l'un des personnages mis en scène par Dumas , Monsieur Ledru, maire de Fontenay- aux-roses découvre à ses invités le trésor qu'il conserve dans son secrétaire. Derrière ce personnage de fiction se profile Vivant Denon et son reliquaire, même si la liste des reliques est un peu différente.

Monsieur Ledru alla droit à son bureau, et ouvrit un immense tiroir, dans lequel se trouvait une foule de petits paquets semblables à des paquets de graines. Les objets que renfermait ce tiroir étaient renfermés eux-mêmes dans des papiers étiquetés.
- Tenez, me dit-il, voilà encore pour vous, l'homme historique, quelque chose de plus curieux que la carte de Tendre. C'est une collection de reliques, non pas de saints, mais de rois.
En effet, chaque papier enveloppait un os, des cheveux ou de la barbe. Il y avait une rotule de Charles IX, le pouce de François Ier, un fragment du crâne de Louis XIV, une côte de Henri II, une vertèbre de Louis XV, de la barbe de Henri IV et des cheveux de Louis XIII. Chaque roi avait fourni son échantillon, et de tous ces os on eût pu recomposer à peu de chose près un squelette qui eût parfaitement représenté celui de la monarchie française, auquel depuis longtemps manquent les ossements principaux.
Il y avait en outre une dent d'Abeilard et une dent d'Héloïse, deux blanches incisives, qui, du temps où elles étaient recouvertes par leurs lèvres frémissantes, s'étaient peut-être rencontrées dans un baiser.
D'où venait cet ossuaire ?
Monsieur Ledru avait présidé à l'exhumation des rois à Saint-Denis et il avait pris dans chaque tombeau ce qui lui avait plu.
Monsieur Ledru me donna quelques instants pour satisfaire ma curiosité ; puis, voyant que j'avais à peu près passé en revue toutes ses étiquettes :
- Allons, me dit-il, c'est assez nous occuper des morts, passons un peu aux vivants.

 

Voir sur le même sujet le site allemand de Werner Robl :http://www.abaelard.de/abaelard/080041dumas.htm

Le reliquaire enfin retrouvé

Un article de Madame Barbara   paru dans l' hebdomadaire "Point de Vue" N° 3068 du 9 au 15 mai 2007 allait nous mettre sur la voie. Il faisait la présentation d'un livre de Madame Clémentine Portier-Kaltenbach, journaliste et écrivain. Celle-ci est en effet l'auteur d'un ouvrage au titre bizarre  publié chez JC Lattés en avril 2007, "Histoire d'os et autres illustres abattis"
 

Présentation de l'éditeur
Même morts nos grands hommes ne sont pas tranquilles ! A peine refroidis, leurs cheveux, leurs dents, le moindre de leurs os font l'objet d'un commerce insolite, d'une spéculation effrénée. Clémentine Portier-Kaltenbach, en véritable détective, en historienne légiste, a mené une enquête passionnante sur le destin de ces reliques dont la possession suscite tant de convoitise. Quel chemin mystérieux le corps de Descartes a-t-il suivi avant de trouver la paix dans l'église Saint-Germain-des-Prés ? En quoi la barbiche de Richelieu prouve-t-elle l'authenticité de son crâne ? Qu'en est-il des vestiges des héros entrés par la grande porte du Panthéon - Mirabeau, Marat... - et sortis en toute discrétion par la petite ? Qu'a-t-on découvert en ouvrant les cercueils de Voltaire et Rousseau ? Et Napoléon, y a t-il un mystère des Invalides ? Sans oublier les énigmes qui entourent la côte de Jeanne d'Arc, la jambe de Catherine de Médicis, les dents de Louis XIV, le cœur de Louis XVII... et surtout le fabuleux reliquaire de Vivant Denon dont le contenu défie l'imagination ! Ce sont ainsi des épisodes - des morceaux - de l'histoire de France, inconnus, saugrenus, surprenants qui surgissent du passé non pas comme des fantômes mais comme la preuve que les destins exceptionnels continuent à vivre dans notre présent.

  

Dans  son article,  Barbara Lambert s'attardait un peu sur le reliquaire de Vivant Denon et nous apprenions qu'en effet il contenait bien des restes d'Héloïse et d'Abélard comme l'avait affirmé Charlotte Charrier et comme l'avait redit et inventorié Philippe Sollers.

Elle nous donnait l'adresse du musée où est exposé ce reliquaire gothique en cuivre doré. Il s'agit du Musée-'Hôtel Bertrand, descente des cordeliers, à Châteauroux dans l'Indre.

Elle illustrait l'article par une photo où l'on pouvait voir, sur la partie exposée, au centre des six cases, les noms d'Abailard et d'Héloïse. Au-dessus, on lit Cid  et Chimène et au -dessous Agnès et Ignès

"Ce reliquaire est le véritable Graal de la relique profane"

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