LETTRE AU CARDINAL ÉTIENNE
 ÉVÊQUE DE PALESTRINA
Lettre 331
 

 

Contre Abélard

 

A son très vénéré seigneur et bien-aimé père E..., par la grâce de Dieu évêque de Palestrina, le fière Bernard, abbé de Clairvaux; il faut servir le Seigneur avec force et courage.

 

Persuadé que Vous êtes l'ami de l'Époux et que vous vous plaisez à entendre sa voix, je viens vous entretenir avec confiance des épreuves et des désolations de l'Épouse du Christ. Si je ne me trompe sur les dispositions de votre âme, je sais que le Seigneur peut compter sur vous et que vous n'avez en vue que les intérêts de Jésus-Christ. Pierre Abélard se déclare dans sa vie, dans ses moeurs et jusque dans les ouvrages qu'il publie, le persécuteur de la foi catholique et l'ennemi de la croix du Sauveur. Sous l'habit religieux il cache un hérétique déclaré, car il n'a de religieux que l'habit et le nom. Il rouvre les vieilles citernes et les sources à demi fermées des hérésies pour y faire tomber les boeufs et les ânes. Après avoir longtemps gardé le silence, il ne sort de sa solitude de Bretagne où il a conçu la douleur, que pour enfanter l’iniquité (Psalm. VII, 15) » dans, la France entière. Le serpent aux mille replis est sorti de la caverne et, pareil à l'hydre de la fable, il semble qu'il lui est poussé sept têtes à la place de celle qu'on lui avait coupée. Pour une hérésie, pour une tête tranchée à ce monstre au concile de Soissons, il en pousse sept autres; pour ne pas dire un plus grand nombre; je m'en suis procuré la liste et je vous l'envoie. A peine a t-il sevré ses écoliers du lait de la logique encore nécessaire à leur jeunesse et à leur ignorance qu'il 'applique ces esprits encore incapables des premiers éléments de la foi, au mystère de la sainte Trinité, à la contemplation du Saint des saints, et de la demeure impénétrable de celui qui se plaît au milieu des ombres et des mystères. Notre nouveau théologien a de commun avec Arius de distinguer des degrés dans la sainte Trinité ; avec Pélage, de faire le libre arbitre supérieur à la grâce; avec Nestorius, de diviser Jésus-Christ en niant l'union de son humanité à la Trinité; et, poussant jusqu'au bout dans cette voie, il parcourt à peu près tous les sacrements, touche à tout avec audace et traite de tout d'après son damnable système. De plus, il se vante d'avoir infesté la cour de Rome elle-même du venin de ses nouveautés, d'avoir fait recevoir et goûter des Romains ses livres et ses maximes, et de compter enfin des partisans dévoués dans tous ceux dans lesquels il ne devrait trouver que des juges pour le condamner. Que Dieu veille lui-même au salut de cette Église pour laquelle il a donné sa vie afin qu'elle fùt à ses yeux sans souillure et sans ride, et qu'il fasse condamner à un silence perpétuel un homme dont la bouche ne vomit que malédiction, amertume et erreur.

OEUVRES COMPLÈTES
DE
SAINT BERNARD
TRADUCTION NOUVELLE PAR M. L'ABBÉ CHARPENTIER
PARIS,  LIBRAIRIE LOUIS DE VIVÈS, ÉDITEUR , 9, Rue Delambre, 9, 1866

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/index.htm

Pour les commentaires de Horstius et Mabillon, se reporter au site de l'abbaye Saint-Benoit
qui a mis en ligne cette traduction, 08/12/2003

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