LETTRE AU CARDINAL G
Lettre 332
 

 

C'était Grégoire de Tarquinie; il fut créé cardinal diacre du titre des saints Sergius et Bacchus par le pape Callixte II
 

 

Encore contre Pierre Abélard.

 

A son vénéré seigneur et bien-aimé père G..., cardinal diacre de la sainte Église romaine, Bernard, abbé de Clairvaux, salut et esprit de conseil et de force.

 

Je ne saurais vous taire l’injure qu'on fait à Jésus-Christ, les douleurs et les angoisses où se trouve l'Église, la misère qui pèse sur les indigents et les gémissements que font entendre les pauvres. Nous vivons dans un temps fécond en périls qui voit se lever des docteurs uniquement occupés à flatter ceux qui les écoutent, et des disciples qui ferment les oreilles à la vérité et ne les ouvrent qu'aux fables qu'on leur débite. Il paraît en France un homme dit nom de Pierre Abélard, qui se donne pour religieux et vit sans règle; pour prélat, et n'a point charge dames; pour abbé, et n'a point d'abbaye; il dispute avec des enfants et converse avec les femmes. Dans ses livres, il repaît ses disciples d'une nourriture inconnue et les enivre d'un breuvage clandestin, tandis que dans ses leçons orales il captive par un néologisme profane et des expressions aussi nouvelles que le sens qu'elles expriment, et essaie de percer, non pas comme Moïse seul et sans témoin, mais avec la foule entière de ses nombreux disciples, les mystérieuses obscurités dont Dieu s'environne. On ne voit dans les rues et les places publiques que des gens qui disputent de la foi catholique, de l'enfantement de la Vierge, du sacrement de l'autel et de l'insondable mystère de la sainte Trinité. Nous n'avons cessé d'entendre les rugissements du lion que pour avoir les oreilles déchirées par les sifflements du dragon; mais vous, Seigneur mon Dieu, vous saurez confondre les visées de l'orgueil et fouler aux pieds le lion et le dragon. L'un ne fit de mal que pendant sa vie, sa mort mit fin à ses ravages; mais l'autre a pourvu à la perte de l'avenir et pris un moyen assuré de faire passer le poison jusqu'aux générations qui ne sont pas encore nées. Il a écrit et publié ses nouveautés pestilentielles; je me suis procuré ses livres et je vous les envoie, vous pourrez ainsi le juger par ses oeuvres. Vous verrez que notre nouveau théologien a de commun avec Arius de distinguer des degrés dans la sainte Trinité; avec Pélage, de faire le libre arbitre supérieur à la grâce; avec Nestorius, de diviser Jésus-Christ en niant l'union de son humanité à la Trinité; or je ne cite là qu'un petit nombre de ses erreurs. Eh quoi! n'y aura-t-il donc personne parmi vous qui gémisse sur les coups dirigés contre le Sauveur, personne qui prenne le parti de la justice et se lève contre l'iniquité? Si l'on ne ferme la bouche à ce méchant, je mets les conséquences de toute cette affaire entre les mains de celui qui considère le travail et la douleur dont le juste est accablé par le méchant (Psalm. IX, 35).

LETTRE 333 

Sur le même sujet.

 

A son ami G.,., vénérable cardinal diacre du titre des saints Sergius et Bacchus, Bernard, abbé de Clairvaux, salut et amitié.

 

Puisque vous avez l'habitude de. vous lever devant moi toutes les fois que je me présente à la cour, je vous engage à le faire en ce moment; ne croyez pas que je plaisante, je parle très sérieusement; en ce moment même je me présente devant la cour, sinon en personne, du moins dans le procès qui lui est actuellement déféré. Veuillez donc m'honorer dans la. cause que je plaide, car c'est celle de Jésus-Christ lui-même et de la vérité. Oui, levez-vous, ou plutôt soulevez-vous, le coeur indigné, contre un hérétique qui parle de foi, contre toutes les règles de la foi, et qui se sert des propres termes de la loi pour détruire la loi. Il lève la main contre tous et chacun la lève contre lui. Je veux parler de Pierre Abélard, qui écrit, dogmatise et dispute à sa fantaisie, sur la morale, les sacrements, ainsi que sur le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Après avoir jeté le trouble et l'agitation dans l'Église, il se présente à la cour de Rome, non pour chercher un remède aux maux qu'il a causés, mais pour justifier les erreurs auxquelles il s'est abandonné. Défendez, en véritable enfant de l'Église; le sein qui vous a porté et les mamelles qui vous ont nourri.

OEUVRES COMPLÈTES
DE
SAINT BERNARD
TRADUCTION NOUVELLE PAR M. L'ABBÉ CHARPENTIER
PARIS,  LIBRAIRIE LOUIS DE VIVÈS, ÉDITEUR , 9, Rue Delambre, 9, 1866

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/index.htm

Pour les commentaires de Horstius et Mabillon, se reporter au site de l'abbaye Saint-Benoit
qui a mis en ligne cette traduction, 08/12/2003

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