RESCRIT DU PAPE INNOCENT II
CONTRE LES ERREURS DE PIERRE ABÉLARD.

Lettre 194

  

Innocent, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à ses vénérables frères Henri, archevêque de Sens et Samson, archevêque de Reims, aux évêques leurs suffragants, et à son très cher fils en Jésus-Christ, Bernard, abbé de Clairvaux, salut et bénédiction apostolique.

 

L'Apôtre l'a dit (Eph., IV, 5), de même qu'il n'y a qu'un seul Dieu, ainsi il n'y a qu'une seule foi, sur laquelle repose, comme sur un inébranlable fondement que personne au monde ne saurait remplacer par un autre, l'inviolable Église catholique. C'est pour avoir confessé cette foi avec éclat que le bienheureux Pierre, le chef des apôtres, mérita d'entendre ces paroles de la bouche de Notre-Seigneur et Sauveur « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église (Matth., XVI, 18) ; » pour nous figurer par le roc la fermeté de la foi et la solidité de l'unité catholique. C'est encore la foi que désigne la tunique sans couture du Sauveur, que les soldats ont tirée au sort, mais qui ne fut point divisée ; les peuples dans le principe se sont révoltés contre elle, et ont conjuré sa perte; les princes et les rois se sont coalisés pour la détruire (Psalm. II, 1 et 2), mais ce fut en vain. Les apôtres, pasteurs du troupeau de Jésus-Christ, et les hommes apostoliques qui leur ont succédé, brûlant du feu de la charité et consumés du zèle de la justice, n'ont point hésité, à prendre sa défense et à verser leur sang pour la faire germer dans le coeur des hommes. Puis la rage des persécuteurs s'est assoupie et le calme a été rendu à l'Église.

2. C'est alors que l'ennemi du genre humain, qui rôde constamment à la recherche d'une proie qu'il dévore, inspira aux hérétiques, pour corrompre la pureté; de la foi, un langage plein de fourbe et d'artifice ; mais l'énergie des pasteurs de l'Église tint tète à ces nouveaux ennemis et les frappa, eux et leurs dogmes impies, de la même condamnation. Le concile de Nicée anathématisa Arius, celui de Chalcédoine terrassa l'hérésie de Nestorius, et frappa d'une juste réprobation Eutychès et Dioscore avec tous leurs partisans. On vit aussi l'empereur Marcien , tout laïque qu'il était, dans son zèle pour la foi catholique, adresser au pape Jean, l'un de nos prédécesseurs, une lettre où il prenait la défense de nos sacrés mystères contre ceux qui veulent les profaner, et dans laquelle il tenait ce langage : « Que nul, dit-il, soit ecclésiastique, soit homme de guerre, ou de quelque condition qu'il puisse être, ne se mêle à l'avenir de disputer publiquement sur les vérités de la foi chrétienne, car c'est porter atteinte au respect dû aux décisions du saint concile que de remettre en question les points qu'il a une fois jugés et définis; quiconque osera enfreindre cette ordonnance encourra la peine des sacrilèges, et si c'est un ecclésiastique, il sera déposé. »

3. D'ailleurs nous apprenons avec douleur, tant par votre lettre que par la liste des erreurs que Votre Fraternité nous a fait parvenir, que dans ces derniers temps si gros de menaces pour l'Église, la pernicieuse doctrine de Pierre Abélard  fait revivre toutes les hérésies dont nous venons de parler, et d'autres dogmes impies que la foi condamne. Mais dans notre affliction nous ne sommes pas sans éprouver une très  grande consolation dont nous rendons grâces au Tout-Puissant, car nous voyons qu'il suscite dans vos contrées de dignes successeurs des Pères, des pasteurs zélés à combattre sous notre pontificat les erreurs de ce nouvel hérétique, et à maintenir l'Épouse du Christ dans sa pureté immaculée. Pour nous, qui, tout indigne que nous soyons, occupons la chaire de l'apôtre à qui s'adressaient ces paroles du Seigneur: « Et vous, quand un jour vous serez converti, confirmez vos frères (Luc., XXII, 32); » après en avoir conféré avec nos frères les évêques et les cardinaux, nous avons, en nous appuyant sur les saints canons, condamné les propositions dont vous nous avez adressé la liste, et en général tous les dogmes impies de Pierre Abélard; nous avons déclaré cet auteur hérétique et lui avons imposé un éternel silence; de plus, nous entendons qu'on sépare du reste des fidèles et qu'on frappe d'excommunication quiconque embrassera et soutiendra ses erreurs.

Donné à Saint-Jean-de-Latran, le 16 juillet.

OEUVRES COMPLÈTES
DE
SAINT BERNARD

TRADUCTION NOUVELLE PAR M. L'ABBÉ CHARPENTIER
PARIS,  LIBRAIRIE LOUIS DE VIVÈS, ÉDITEUR , 9, Rue Delambre, 9, 1866

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/index.htm

Pour les commentaires de Horstius et Mabillon, se reporter au site de l'abbaye Saint-Benoit
qui a mis en ligne cette traduction, 08/12/2003

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