Planctus Jacob super filios suos


Vézelay. Le combat de Jacob et de l'Ange

Plainte de Jacob

(Abélard poète)
(Jacob se lamente sur le sort de ses trois fils disparus : Joseph, Siméon et Benjamin)

Malheureux fils d'un père malheureux, quel crime encore ai-je commis pour qu'une telle vengeance me tombe sur la tête?
        Quel forfait à racheter d'une si grande peine? Quel péché pour être frappé d'un tel coup?
        D'abord c'est Joseph, l'honneur de ma maison, gloire de ma descendance, qui pérît de la mort la plus affreuse, dévoré par les fauves.
        Puis c'est Siméon, qui expie mes fautes dans les chaînes. Et maintenant, voici que c'est Benjamin. Toutes mes joies perdues.
        0 Joseph, tes frères étaient jaloux de toi parce que tu brillais d'une grâce divine. 0 mon fils, dans tes songes quels malheurs voyais‑tu ?
        Le soleil, la lune, les étoiles sur quoi je méditais, quels mystères renfermaient‑ils?
        Benjamin, tu étais le cadet, bien sûr, mais le premier de tous par mon amour, toi que ta mère mourante appelait « fils de ma douleur », toi que ton père, transporté de joie, appela « fils de la bénédiction ».
        Par tes caresses tu allégeais la vieillesse de ton malheureux père. Sur ton visage je retrouvais le visage de ton frère et ta beauté était celle‑là même de ta mère.
        Plus que les chants harmonieux, ah, qu'elles étaient douces au vieil homme solitaire tes gentillesses de jeune enfant.
        Et le miel des plus belles paroles, il n'était rien auprès de tes balbutiements.
        En toi, Benjamin, Ô
mon fils, je trouvais la consolation des deux grandes pertes de ma vie.
        Comme ceux qui ne sont plus, tu étais beau, tu étais leur image et tu me rendais à moi‑même.
        En te perdant, c'est eux que j'avais retrouvés que je perds une seconde fois.
        0 mon cher fils, j’ai vécu trop longtemps.
        0, Benjamin, toi le plus petit par l'âge mais la plus grande douleur de ton père et de ta mère.
        0 Dieu, mon Dieu, à qui je resterai fidèle, réunissez-nous tous en votre sein.

« Planctus Jacob » de Pierre Abélard, traduction Jean-Pïerre Foucher, « Florilège de la poésie sacrée »
Voir la discographie pur la ligne musicale.

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