SIC ET NON

 

Prologue

 

Texte latin de l'édition critique de Blanche Boyer and Richard McKeon  Université de Chicago,1977

Patrologie latine, col. 1339  - 1349

 

Présentation
La partie principale, la plus longue, de l'ouvrage d'Abélard comprend 158 questions qui regroupent chacune des textes divers ou contraires de l'Écriture et des Pères de l'Église. L'ensemble se dispose en trois parties : foi,  sacrements et  charité, selon un plan caractéristique de l'école d'Abélard. Mais ces très nombreuses citations ne sont pas ce qu'il y a de plus intéressant. C'est le prologue, traduit ci dessous, qui nous donne la méthodologie d'Abélard. C'est cela qui est capital. L'esprit du "sic et non" est bien celui d'un maître es arts du langage qui utilise  le trivium - grammaire, rhétorique, dialectique - pour résoudre les contradictions réelles ou apparentes des textes, avec une attention marquée sur la théorie de la signification "les mêmes mots ont été employés en des sens différents par des auteurs différents".
Abélard ne néglige pas non plus une méthode historique : il faut se méfier des apocryphes, dépister les fautes des copistes, vérifier si tel passage n'a pas été rétracté par son auteur ou si l'auteur n'exprime pas plutôt la pensée d'un autre que la sienne propre etc.
On y trouve aussi affirmé à plusieurs reprises une des convictions fortes d'Abélard : la morale de l'intention. Pour preuve ce commentaire à propos d'Augustin :
"
car il faut juger plus selon l’intention de celui qui parle que selon la nature des propos tenus. Le Seigneur qui sonde les reins et les cœurs pèse moins ce qui se produit effectivement que l’esprit avec lequel on a voulu que cela se produise. Ainsi donc est sans péché celui qui parle, pourvu qu’il le fasse sincèrement et non frauduleusement ou avec duplicité."
Enfin, même si Abélard se préoccupe peu des différents sens de l'Écriture chers à saint Bernard : le sens mystique, allégorique ou moral, il accorde une autorité tout à fait supérieure aux écrits canoniques. Si des difficultés demeurent, "il faut plutôt croire que c'est la Grâce qui nous a manqué pour les comprendre". Le dialecticien demeure un théologien croyant.

Bibliographie
Jean Jolivet, "Abélard ou la philosophie dans le langage", Paris, cerf 1994, p.82 à 87
Lutz Gelsetzer "La méthode des questions chez Abélard et la stratégie de la recherche". Faculté de philosophie de Duesseldorf Cliquez ici


 

Parmi les si nombreuses paroles proférées par les auteurs sacrés eux-mêmes, un certain nombre de propos peuvent apparaître non seulement divergents mais même contradictoires. Il ne faut pas cependant se permettre de juger témérairement ces saints auteurs, car c’est par eux que le monde doit être jugé, ainsi qu’il est écrit :
"Les saints jugeront les nations," sg 3 7-8.

Et encore :

"Vous siégerez vous aussi comme juges." mt 19,28.

 

Ne nous permettons pas de les traiter de menteurs ou de croire qu’ils se trompent ceux à qui le Seigneur a dit :

"Qui vous écoute m’écoute, qui vous méprise me méprise." lc 10,16

 

C’est pourquoi après nous être souvenu de notre propre faiblesse, il faut croire que c’est à nous plutôt que la grâce a manqué quand nous nous appliquions à comprendre plutôt qu’à eux lorsqu’ils écrivaient, eux à qui la Vérité elle-même a dit :

"Ce n’est pas vous qui parlez, c’est l’Esprit de votre Père qui parle en vous." mt 10,20

 

Quoi d’étonnant en effet si, alors que cet Esprit est absent de notre intelligence, nous n’arrivions pas à comprendre ce qui a été écrit, dicté et enseigné aux écrivains eux-mêmes par ce même Esprit.

Le premier obstacle à notre compréhension est une manière inhabituelle de s’exprimer ainsi que, très souvent, la signification diverses de ces mots qui sont pris tantôt dans un sens, tantôt dans un autre. Chacun en effet, à sa manière, utilise tel sens et telle parole. Ainsi le dit Cicéron :

« En toutes choses, l’identité est mère de la satiété. » De Invent I, 41,76

 

Ainsi naît l’ennui. Il est donc opportun, pour une même chose, de varier les expressions sans pour cela tout dévoiler dans un langage vulgaire et commun. Comme le dit Saint Augustin : le sens peut rester caché pour garder tout son prix et le plaisir à le découvrir est d’autant plus grand qu’on a dépensé plus de soin à le chercher et qu’il a été plus difficile à conquérir.

Souvent en raison de la diversité de ceux à qui nous parlons, il convient de changer de langage car il arrive fréquemment que la signification propre des mots est ignorée de certains ou parfois peu utilisée.  Si nous voulons leur parler pour les instruire correctement, il faut utiliser plutôt le mot habituel que le mot propre. C'est aussi ce qu'enseigne Priscien, le prince de la grammaire et du langage. C'est cela même que le bienheureux docteur de l'Église, Augustin, si minutieux et précis, a conseillé de faire quand dans le quatrième livre de la "Doctrine Chrétienne", il donne ses instructions à un enseignant dans l'Église : enlever tout ce qui gêne la compréhension de ceux à qui on s'adresse, mépriser la propriété des termes et les ornements de style, si, sans eux, il est plus facile de parvenir à se faire comprendre.

(De doc. IV 9,10) "L''orateur qui s'attache à la clarté dans le discours laissera parfois de côté une expression plus choisie et plus harmonieuse pour prendre celle qui rend plus nettement sa pensée. Ce qui fait dire à un écrivain, parlant de ce genre de style, qu'il se distinguait par une certaine négligence soignée (Cicer. Orateur) .

Pareillement

Telle doit être l'application d'un sage docteur à bien instruire, qu'il préfère à une expression plus obscure et ambiguë, par cela même qu'elle est plus latine et savante, une expression familière, qui sur les lèvres du vulgaire présente un sens clair et déterminé. Ainsi l'interprète sacré  n'a pas craint de traduire "non congregabo conventicula eorum de sanguinibus", je ne serai point l'auteur de ces assemblées où, ils se réunissent pour répandre les sangs des victimes (Ps XV,4) parce qu'il a jugé dans l'intérêt de la pensée, devoir mettre au pluriel, dans cette circonstance, le mot "sanguis" qui en latin ne s'emploie qu'au singulier. Et pourquoi un docteur chrétien , s'adressant à des ignorants, ferait-il difficulté de dire "ossum" pour "os" dans la crainte que cette syllabe ne soit prise pour celle qui au pluriel fait "ora", bouche, et non "ossa ", os. A quoi sert la pureté d'un terme s'il n'est compris de celui qui l'entend ? Et à quoi bon parler si celui à qui on s'adresse pour se faire comprendre, ne comprend pas ? Si vous voulez instruire, rejetez tous les mots qui n'instruisent pas.

et encore :

"Le caractère distinctif des esprits sages est d'aimer dans les paroles ce qu'elles ont de vrai et non les paroles elles-mêmes. A quoi bon un clef d'or, si elles ne peut nous ouvrir ? Et qu'importe une clef de bois si elle nous ouvre, quand nous ne cherchons qu'à ouvrir ce qui était fermé ?"
 

Qui ne voit combien il est téméraire de juger du sentiment et de l'intelligence d'autrui ? A Dieu seul sont ouverts les coeurs et les pensées, et il nous détourne de cette présomption quand il dit:

«Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés» (Matthieu, 7, 1).

 

Et l'apôtre:

«Ne jugez pas avant le temps, jusqu'à ce que vienne celui qui illuminera les secrets des ténèbres et manifestera les conseils des coeurs» (1 Corinthiens, 4, 5),

 

comme s'il disait clairement : en ces matières remettez le jugement à celui qui seul connaît toutes choses et qui discerne les pensées elles‑mêmes, selon qu'il est écrit symboliquement de ses mystères cachés à propos de l'agneau pascal:

«Si quelque chose en reste, qu'il soit brûlé» (Exode, 12, 10)

 

c'est‑à‑dire : s'il y a, dans les mystères divins, des points que nous ne pouvons comprendre, laissons le soin de les enseigner à l'Esprit par lequel ces choses ont été écrites, plutôt que de les trancher témérairement.

 

Quand on nous objecte certains textes des saints comme opposés (entre eux) ou étrangers au vrai, il faut faire bien attention de n'être pas trompés par un faux intitulé, ou par la corruption de l'écriture elle‑même. Car beaucoup d'apocryphes ont dans leur titre des noms de saints propres à leur donner de l'autorité; et certains passages, même dans les écrits qui composent les divins Testaments, sont corrompus par la faute des copistes. C’est ainsi que Jérôme, fidèle copiste et traducteur authentique, écrivant à Laeta pour l’éducation de sa fille nous avertit ainsi en disant :

(Epist. 107,12) "Qu’elle prenne garde à tout écrit apocryphe. Si cependant elle veut les lire non pour connaître la vérité du dogme mais pour admirer les miracles qu’on y trouve, qu’elle sache bien que les auteurs de ces écrits ne sont pas ceux dont les noms sont portés en début du manuscrit et qu’il faut faire preuve d’une grande prudence pour chercher l’or dans la boue."

 

Le même, dans son commentaire sur le psaume 77 dont le titre porte ainsi « Poème d’Asaph », Jérôme dit ceci :

Il est écrit dans Saint Matthieu : « Le Seigneur parlait en paraboles et les disciples ne comprenaient pas » et la suite. Cela s’est produit afin d’accomplir ce qui a été écrit par le prophète Isaïe. « J’ouvrirai la bouche pour parler en paraboles. » Jusqu’à aujourd’hui c’est ainsi qu’est formulé l’Évangile. Pourtant ce n’est pas chez Isaïe qu’on trouve cette parole, mais bien chez Asaph, ps. 77

 

Pareillement.

"Disons simplement, comme il est écrit dans Matthieu et Jean, que le Seigneur a été crucifié à la sixième heure. Dans Marc nous trouvons la troisième heure, mais c’est une erreur de copiste. A l’origine il y avait bien sixième heure chez Marc mais beaucoup ont pris pour un gamma grec (3) ce qui était un épisemon grec (6) et ainsi s’est produite l’erreur du copiste. De même Asaph a été pris pour Isaïe. En effet, comme nous le savons, il y avait beaucoup de païens ignorants dans les églises primitives. Ainsi donc, on lisait dans l’Évangile « Afin que s’accomplisse ce qui est écrit chez le prophète Asaph. » Voilà qu’un premier copiste se met à dire : Qui est donc ce prophète Asaph, prophète inconnu du peuple ? Et qu’a-t-il fait ? Voulant corriger une erreur, le copiste en a commis une. Nous trouvons quelque chose de semblable dans cet autre passage de Matthieu. mt 17,9 «  Il a rendu les trente pièces d’argent, le prix qui avait été convenu, comme il est écrit chez le prophète Jérémie. » On ne peut pas trouver cela dans Jérémie mais dans Zacharie. Vous voyez donc comment la aussi s’est glissée une erreur."

 

Si dans les Évangiles eux-mêmes on trouve quelques erreurs dues à l’ignorance des copistes, il n’est pas étonnant que dans les écrits postérieurs de Pères, qui n’ont pas, de loin, la même autorité on en découvre aussi quelques unes. Si donc par hasard il se trouve dans les écrits des saints quelques passages qui s’écartent de la Vérité, il convient d’adopter une attitude de piété, d’humilité et de charité « La charité qui croit tout, espère tout, supporte tout ». Il ne faut pas facilement suspecter de mauvais vouloir ceux dont on s'occupe. Croyons plutôt qu’il y a eu une mauvaise traduction ou que le texte est corrompu ou enfin que c’est nous qui n’arrivons pas à comprendre.

 

Il faut à mon avis tout autant prendre garde de vérifier si les textes tirés des écrits des saints ont été rétractés par eux et corrigés après qu’ils eurent connu la vérité comme saint Augustin l’a fait dans beaucoup d’endroits. Ils ont pu aussi parler selon l’opinion d’autrui plutôt que selon leur propre pensée. Ainsi dans beaucoup d’endroits l’écrivain ecclésiastique peut introduire des phrases diversement fausses qui sont ensuite hâtivement interprétées comme l’atteste le bienheureux Grégoire dans le quatrième livre des « Dialogues ». Il peut se faire aussi qu’ils ont laissé les choses dans le doute, restant en quête plutôt que de trancher décisivement la question. Ainsi le vénérable docteur Augustin déjà cité déclare avoir fait cela dans une édition de son livre « Super genesis ad litteram » ; ce dont il fait mémoire dans le premier livre des « Rétractations ».

(Maur I,28) « Dans cette œuvre, dit-il, plusieurs questions ont eu des solutions nouvelles. Parmi ces solutions nouvelles un petit nombre a été confirmé. Toutes les autres sont retournées dans le domaine de la recherche. »

 

Le témoignage de saint Jérôme nous apprend aussi que les docteurs catholiques avaient l’habitude dans leurs commentaires de glisser d’abominables opinions hérétiques au milieu de leur propre pensée : cherchant la perfection ils se plaisaient à ne rien laisser perdre de l’antiquité. Alors répondant au bienheureux Augustin après que ce dernier l’ait interpellé au sujet de son commentaire de certains passages de l’épître de Paul aux Galates, il écrit :

(IV,618) Tu cherches la raison pour laquelle j’ai dit dans mon commentaire de l’épître de Paul aux Galates que Paul n’avait pas pu réprimander Pierre pour ce que lui-même, Paul, avait fait. Et tu dis que la dissimulation apostolique n’est pas de pure forme mais qu’elle a bien existé en vérité et que néanmoins je ne dois pas enseigner qu’il y a eu mensonge.

 

Je réponds que ta prudence devait se souvenir de la petite préface de mes commentaires, car conscient de la faiblesse de mes forces, j’ai suivi les commentaires d’Origène. Ce dernier a écrit beaucoup de pages sur l’épître de Paul aux Galates. J’oublie aussi de dire que j’ai consulté Didyme qui a regardé mon travail ainsi qu’Apollinaire de Laodicée qui a récemment quitté l’Eglise et le vieil hérétique Alexandre. Tous ces gens là ont laissé quelques commentaires sur le même sujet. J’ai lu tout cela et dans mon esprit j’ai confronté ces diverses opinions. Quant est arrivé le moment de dicter à mon secrétaire, j’ai dicté tantôt mes propres idées, tantôt celles des autres.

 

Pareillement.

Ton érudition aurait pu me demander si ce que j’avais écrit trouvait sa confirmation dans les sources grecques ou si celles-ci n’en disaient rien. Alors tu aurais pu condamner mes propres opinions. De plus, j’ai ouvertement admis dans ma préface que j’ai suivi les commentaires d’Origène et que j’ai dicté soit ma pensée soit celle des autres. J’ai fait en sorte de laisser au bon sens du lecteur le soin d’approuver ou de ne pas accepter.

 

Ainsi nous ne doutons pas que le bienheureux Hilaire ainsi que quelques autres saints ont inséré dans leurs écrits beaucoup d’idées qui viennent de cet Origène ou encore d’autres personnes qui sont dans l’erreur. Ils ont voulu exposer plutôt l’opinion des autres qu’énoncer la leur propre. Ce ne sont pas ces saints eux-mêmes qui nous ont tenu au courant de cette situation. Nous l’avons appris plus tard. Ainsi le docteur Jérôme, cité plus haut, dans sa lettre au prêtre Vigilantius s’excusait d’avoir parfois repris quelques unes des thèses d’Origène et de les avoir traduites.

Si c’est un crime, dit-il, alors le confesseur Hilaire peut aussi être accusé, lui qui a traduit à partir des écrits d’Origène l’interprétation des psaumes et les homélies sur Job. IV, 276

 

Chaque fois en effet que nous avons trouvé quelques passages s’écartant de la vérité et contraires aux écrits des autres saints, nous devons en imputer la responsabilité à Origène plutôt qu’à Hilaire, même si Hilaire lui-même n’a pas été capable de faire la différence. Par exemple il n’est pas utile d’ajouter une mention en tête du psaume premier car on comprend facilement qu’il s’agit d’un juste. Pourtant Jérôme lui aussi l’a fait dans certaines explications de certains psaumes : il a voulu suivre Origène. Il n’est pas douteux qu’il est arrivé au dit Origène de proposer certaines idées mélangées de graves erreurs pour avoir lui-même suivi celles des autres. C’est encore ainsi que s’exprime Jérôme dans sa lettre au prêtre Avitus. Jérôme commence d’abord par corriger les nombreuses erreurs qu’Origène avait introduites dans son livre « Des commencements » et dit ensuite :

« Après un si mauvais argument qui a blessé l’esprit du lecteur Origène déclare :  « Les choses que j’ai énoncées à ma manière ne sont pas une vérité dogmatique mais elles peuvent être soit acceptées soit rejetées ; qu’elles ne soient pas considérées comme quasi intouchables. » IV, 763

 

De la même manière ce Jérôme cité ci-dessus a souvent dicté soit ses propres opinions, soit celles des autres, laissant au bon sens du lecteur le soin d’approuver ou de rejeter. Le bienheureux Augustin a lui aussi corrigé beaucoup de passages dans ses propres œuvres et s’est souvent rétracté. Un bon nombre des affirmations qu’il a proposées viennent moins de sa propre pensée que de celle des autres

 

Même dans les Évangiles, certaines paroles sont apparemment prononcées davantage selon l’opinion courante des hommes que selon la vérité des choses. Ainsi en est-il quand la mère du Seigneur lui-même dit de Joseph qu’il est le père du Christ. Elle parle selon l’opinion et l’habitude populaire. Voilà donc ce qu’elle dit :

Ton père et moi, angoissés , nous te cherchions. lc 2,48

 

Et l’apôtre Paul qui assez souvent a repris les propos de ses contradicteurs, et non ce qu’il pensait par lui-même, n’a pas hésité à annoncer clairement les paroles suivantes :

Nous sommes sots pour le Christ et vous êtes sages dans le Christ. I cor 4,10

 

Pareillement. L’Apôtre dit  (Heb 7,3) que Melchisedech n’avait ni père ni mère, ni généalogie. Qu’on ne connaissait de lui ni sa naissance ni sa mort. La signification de ces propos nous est vraiment cachée. Les Écritures n’en disent rien mais ce n’est pas pour autant la vérité des faits. De la même façon, on dit que Samuel serait apparu à la Pythonisse à la manière d’un fantôme. Ce n’était pas lui-même, en réalité, mais quelque image ressemblante qui a pu engendrer une erreur chez ceux qui ont eu cette vision. Il vient à l’esprit du bienheureux Augustin que ce fantôme est appelé Samuel parce qu’il ressemble à Samuel, comme aussi quelqu’un pense avoir vu Rome dans son sommeil alors que c’est dans son esprit qu’il a imaginé Rome.


La plupart du temps les poètes et les philosophes s’expriment selon leur propre opinion, comme s’il s’agissait de la pure vérité, alors qu’il est clair qu’ils s’en écartent notablement. Ainsi ce vers d’Ovide (Ars amatoria I 349,350)

"La récolte est toujours plus abondante dans le champ d’autrui

et le troupeau du voisin prospère mieux."

 

C’est aussi le cas de Boèce dans le troisième livre des « Topiques » lorsqu’il affirmait que « accident » et «  substance » était les deux premiers « genres » des choses. Il énonçait plutôt une opinion que la vérité.

 

Dans le texte suivant du livre II du « de officiis », (II 9,10) Cicéron dit ouvertement que les philosophes, eux aussi, ont exprimé beaucoup d’idées qui proviennent de ce que d’autres pensent plutôt que ce qu’ils pensent eux-mêmes.

 

La justice sans la sagesse a une certaine autorité ; la sagesse sans la justice ne vaut rien et ne conduit pas à la confiance. Plus quelqu’un est astucieux et habile – vient-il à perdre sa réputation d’honnêteté –plus il sera envié et suspecté. C’est pourquoi la justice associée à l’intelligence peut obtenir, autant qu’elle voudra, la confiance des hommes. La justice – même sans la sagesse peut beaucoup – sans la justice,  la sagesse ne peut rien. Pourtant que personne ne s’étonne du fait suivant : Tous les philosophes sont d’accord et moi-même j’ai évoqué la question, pour dire que celui qui possède une vertu les a toutes, comme s’il était impossible de séparer justice et sagesse : quelqu’un qui n’est pas sage ne peut être juste. Une chose est de telle nature pour la vérité, la même se perfectionne dans la controverse ; elle devient autre quand le langage cherche à s’adapter à tous. C’est pourquoi nous employons un langage populaire lorsque nous disons que certains hommes sont courageux, d’autres bons, d’autres sages. En effet il nous faut utiliser des mots communs et usuels quand ou parlons.

 

Enfin dans les discours de chaque jour nous utilisons pour désigner la plupart des choses des mots dans un sens physique alors qu’en réalité il faudrait parler autrement. Bien qu’il n’y ait dans l’univers aucun lieu dont on peut dire qu’il est vraiment vide car il est ou rempli d’air ou de quelque autre chose, néanmoins nous disons d’une boite dans laquelle il n’y a rien qu’elle est vide parce que c’est ce que nous percevons par la vue. Celui qui se fie à ce qu’il voit dit que le ciel est étoilé et tantôt non, que le soleil est tantôt chaud tantôt moins chaud, que la lune éclaire plus ou moins. Tout cela en réalité demeure toujours dans le même état. C’est à nous que cela apparaît toujours différent.

 

Qu’y aurait-il d’étonnant à ce que, parfois, un petit nombre de propositions qui nous viennent des saints et aussi des Pères soient établies davantage sur l’opinion que sur la vérité – quand bien même s’il s’agirait d’écrit. Il faut aussi démêler soigneusement, quand une même chose est diversement traitée, ce qui tend à un précepte strict, ou à un adoucissement indulgent, ou à une exhortation à la perfection : ainsi on cherchera le remède à la contradiction dans la diversité des intentions. Si c’est un précepte il faut se demander s’il est général ou particulier, c'est-à-dire s’il concerne tout le monde communément, ou spécialement certains. Il faut distinguer encore les temps et les causes des dispenses, car souvent ce qui est permis en un temps on le trouve interdit en un autre ; et ce qui est le plus souvent rigoureusement prescrit est parfois tempéré d’une dispense. C’est surtout dans les institutions des décrets ecclésiastiques ou des canons qu’il est nécessaire de faire ces distinctions. Le plus souvent on trouvera une solution facile aux contradictions si l’on peut soutenir que les mêmes mots ont été employés dans des sens différents par des auteurs différents.

Le lecteur attentif essaiera de résoudre les contradictions qui sont dans les écrits des saints par tous les moyens que nous avons dits. Si par hasard il en est une si manifeste qu’elle ne peut être résolue par aucune raison il faut comparer les autorités et retenir avant toutes les autres celle dont le témoignage est le plus fort et la garantie la meilleure.

Ainsi ces paroles de l’évêque Isidore à Massion :

« J’ai pensé devoir ajouter ceci à la fin de ma lettre. À chaque fois que dans les actes des conciles on trouve des avis discordants, il faut s’en tenir en priorité au plus ancien ou à celui qui a une plus grande autorité. » Lettre 4,13

 

Il est certain que la grâce de la prophétie a parfois manqué aux prophètes eux-mêmes. Ceux-ci parlant parfois en qualité de prophètes et croyant posséder avec eux l’Esprit de prophétie, en arrivent à annoncer, à partir de leur propre esprit, des choses fausses. Dieu permet cela pour qu’ils restent dans l’humilité de telle sorte qu’ils apprennent vraiment à connaître de quelle nature est l’Esprit de Dieu et de quelle nature est leur propre esprit. Si donc ils possèdent cet esprit de Dieu qui ne connaît ni le mensonge ni l’erreur, qu’ils le reçoivent comme un don ! En effet, lorsqu’on le possède, celui-ci n’accorde pas tous ses dons à une seule personne ni ne remplit l’âme de l’inspiré de toutes choses. Sans doute il illumine et d’une certaine manière révèle ceci ou cela. Il fait découvrir une chose et en cache une autre.
 

Le bienheureux Grégoire dans la première homélie sur Ézéchiel fournit des exemples très clairs. Il cite même le prince des Apôtres lui-même qui avait brillé par les miracles et les dons de la grâce divine et qui, après avoir aussi reçu du Seigneur la promesse de l’effusion de l’Esprit, avait pu enseigner toute la vérité à ses disciples. Celui-ci était pourtant tombé dans une grave erreur au sujet de la circoncision et de l’observance des anciens rites juifs. Il avait alors été vivement et salutairement repris par son co-apôtre Paul et n’avait pas eu honte d’abandonner son mensonge nuisible.
 

Qu’y a-t-il d’étonnant, alors que les prophètes et les apôtres n’ont pas toujours été entièrement exempts d’erreurs, si dans cette immense quantités d’écrits qu’ont laissés les Pères saints certains passages paraissent dits ou écrits à tort pour la cause qu’on a dite plus haut ? Il n’y a pas lieu de les accuser de mensonge si une fois ou l’autre sur quelque sujet ils ont des paroles qui s’écartent de ce qui est vrai car ils le font non par duplicité mais par ignorance. De même, il ne faudrait pas retenir une présomption de péché quand cela est dit par charité dans un motif d’édification. Auprès du Seigneur toutes choses sont pesées selon l’intention. Il est écrit en effet :

« Si ton œil est sain, ton corps tout entier sera dans la lumière. » Mt 6,22


Ce bienheureux Augustin parlait ainsi dans son traité « de la discipline chrétienne »

« Ayez la charité et faites ce que vous voulez. »


Le même dans le commentaire sur l’épître de saint Jean :

« Ceux qui n’ont pas la charité ne sont pas de Dieu. Possède ce que tu voudras, si tu n’as pas la charité, cela ne te sert de rien. Que le reste te fasse défaut, si tu as la charité, tu accomplis la loi. »

 

Pareillement :

          « Il n’y a qu’un seul et bref commandement : aime et fais ce que tu veux. »

 

Le même dans la « Doctrine chrétienne », livre premier.

« C’est donc à tort qu’on se flatte de comprendre les divines Écritures en tout ou en partie, si cette connaissance ne sert pas à établir le double amour de Dieu et du prochain : c’est ne pas  en avoir encore la moindre intelligence. Celui qui en exprime un sens propre à édifier cette même charité, sans toutefois rendre la pensée de l’écrivain sacré dans le passage qu’il interprète se trompe en vérité, mais son erreur n’est pas dangereuse et, à la vérité, il ne ment pas. Le mensonge en effet suppose en celui qui l’émet l’intention délibérée de dire une fausseté. »

 

Le même dans « Contre le mensonge »

          « Le mensonge c’est proférer une fausse signification avec l’intention de tromper. »

 

Le même dans  « l’Enchiridion » au chapitre XXXIII

         « On ne saurait tenir pour menteur celui qui dit une fausseté en croyant ne dire que la vérité car il est plutôt trompé qu’il ne trompe lui-même. Il faut donc voir moins un mensonge qu’un défaut de réflexion chez celui qui a trop légèrement affirmé le faux et le tient pour vrai. Au contraire on ment, autant qu’il est en soi, quand on donne pour vrai ce que l’on croit faux. Car à ne considérer que l’intention, on ne dit pas la vérité dès qu’on parle contre sa pensée, lors même que la vérité serait conforme à cette assertion : on est coupable de mensonge par ce que l’on a dit la vérité de bouche et sans le savoir, tandis que l’on avait dessein de tromper. »

 

Pareillement :

         « Celui qui parle contre ce qu’il ressent en lui-même, avec la volonté de tromper est un menteur. »

 

Le même dans le commentaire sur les Évangiles, Livre II

    « Sous la pression de sa mère, Jacob a fait en sorte que son père se trompe. Cependant, même s’il a mis beaucoup de soin à cette dissimulation, cela n’est pas un mensonge mais un mystère. En effet, en aucune manière on ne peut dire qu’il s’agit véritablement d’un mensonge. »

 

A dire vrai, Augustin, docteur spirituel, accepte que dans ce cas il y ait mensonge mais non péché, car il faut juger plus selon l’intention de celui qui parle que selon la nature des propos tenus. Le Seigneur qui sonde les reins et les cœurs pèse moins ce qui se produit effectivement que l’esprit avec lequel on a voulu que cela se produise. Ainsi donc est sans péché celui qui parle, pourvu qu’il le fasse sincèrement et non frauduleusement ou avec duplicité. 

    "Celui qui marche dans la simplicité, marche dans la confiance." Prov X

 

Ailleurs aussi l’Apôtre Paul pourrait être accusé de mensonge. Il écrit aux Romains une prévision plus qu’une vérité suivie d’exécution. 

    « Quand donc j’aurai terminé cette affaire et leur aurai remis officiellement cette récolte, je partirai pour l’Espagne en passant par chez vous. » Rom 15,28

 

Une chose en effet est de mentir et une autre chose est de se tromper en parlant ou de s’écarter de la vérité en paroles par erreur et non par malice.

S’il arrive à plus forte raison, comme nous avons dit, que Dieu permette que les saints eux-mêmes fassent des erreurs sans que cela ne porte nullement atteinte à la foi, cela non plus ne se produit pas sans leur apporter quelque bénéfice car, pour eux, tout concourt au bien. Les auteurs ecclésiastiques eux-mêmes qui sont prudents et qui croient que certaines de leurs œuvres peuvent être corrigées autoriseront leurs successeurs à les amender et à ne pas se croire obligés de les suivre à la lettre pour le cas où il ne leur a pas été possible de se corriger eux-mêmes ou de se rétracter.

 

Il en est ainsi chez le docteur Augustin au livre Ier des Rétractations.

« Il est écrit, dit-il, en beaucoup d’endroits, je n’ai pas pu fuir le péché. » Prov. 10,19

 

Pareillement :

L’apôtre Jacques dit : Que tout homme soit prompt à écouter et lent à parler. »Jc 1,19

 

 Pareillement :

« À maintes reprises nous commettons des écarts, tous sans exception. Si quelqu’un ne commet pas d’écart, c’est un homme parfait. Jc 3,2 Moi-même je ne prétends pas à cette perfection alors que je suis un vieillard  … encore moins quand j’étais jeune et que j’ai commencé à écrire ».

 

Le même Augustin dans le prologue du livre III sur la Trinité :

« N’accorde pas à mes textes la même autorité qu’aux Écritures canoniques. Dans celles-ci tu peux trouver certaines choses qui te semblent difficile à croire, crois-les cependant avec persévérance. Dans celles-là, ne retiens pas fermement ce qui te paraît incertain sauf si tu parviens à comprendre que c’est certain. »

 

Le même à Vincent Victor, livre II

« Je ne peux pas et ne dois pas nier qu’il y a aussi bien dans ma conduite morale que dans mes nombreux ouvrages des choses qui peuvent être blamées à juste titre, sans que le censeur soit taxé de témérité. »

 

Pareillement dans la lettre à Vincent

« N’essaie pas de rassembler des calomnies contre les témoignages divins et clairs que l’on trouve dans les écrits des évêques, les nôtres ou Hilaire ou Cyprien et Agrippinus, car ce genre de littérature doit être distingué de l’autorité des Écritures canoniques. En effet, il ne faut pas les lire comme s’il n’était pas permis d’être en désaccord avec ce qu’ils attestent, notamment là où, par hasard, ils s’engagent dans une voie autre que ce que la vérité exige.

 

Le même à Fortunatus

« En aucune manière nous ne devons tenir pour Écritures canoniques n’importe quelles controverses entres catholiques, même bien considérés par les hommes. Ne nous croyons pas interdit – toute révérence rendue à ces hommes – de repousser et de réfuter ce que nous pouvons trouver par hasard dans leurs écrits qui serait contraire à la vérité. Je tiens à avoir la même attitude avec les écrits des autres que celle que je veux avoir avec mes propres lecteurs. »

 

Le même contre Faustus, livre I, chapitre XI

Que Paul se soit trompé en quelque endroit, nous ne l’avons jamais dit, ni nous n’avons avancé qu’il a dû modifier ses affirmations. Quant à nos propres livres, il est possible d’y trouver des textes peu corrects. Nous les avons écrits non pour faire preuve d’autorité, mais dans un but d’utilité.

 

Pareillement

"Nous sommes de ceux dont l’Apôtre dit : « Si vous pensez quelque chose de différent, croyez que c’est Dieu qui vous l’a révélé .» Il ne faut pas lire ce genre d’écrits en se tenant pour obligé d’y croire. On est libre d’en juger. Pour que cette liberté de juger puisse s’exercer et que la postérité ne soit pas privée de questions difficiles à traiter et à manier, qu’elle puisse elle aussi se livrer à ce travail des plus utiles du langage et de l’écriture, il y a lieu de faire la distinction entre ces livres plus récents et l’autorité canonique très supérieure du Nouveau et de l’Ancien Testament. Si l’on trouve dans ces livres canoniques quelque chose d’absurde, il ne nous est pas permis de dire que ce livre a manqué le vrai. Il faut plutôt dire ou bien que le manuscrit est défectueux, ou que le traducteur s’est trompé, ou encore que c’est nous qui ne comprenons pas.

Dans les petits traités des auteurs plus récents qui sont contenus dans de nombreux livres, si d’aventure on estime que certaines choses s’écartent du vrai parce que l’on ne comprend pas ce qui y est dit, le lecteur ou l’auditeur a pourtant la liberté d’apprécier ce qui lui paraît bon et de rejeter ce qui le heurte. C'est pourquoi, parmi toutes ces choses, il en est quelques unes qui peuvent être démontrées soit par un raisonnement sûr soit par l'autorité de ces Écritures canoniques. Concernant les autres qui sont racontées ou disputées pour savoir si cela est vraiment ou si cela a pu être ainsi , il est clair qu'on ne peut faire de reproches à celui qui refuse de les croire parce que cela ne lui convient pas."

 

 En revanche les Écritures canoniques de l’Ancien et du Nouveau Testament sont des documents dans lesquels il serait hérétique d’affirmer que la moindre chose s’écarte de la vérité. A propos de ces Écritures, Augustin, dans la quatrième lettre à Jérôme,  rappelle :

"Dans votre commentaire de l’épître de saint Paul aux Galates j’ai trouvé un endroit qui me trouble beaucoup. Si on admet dans les saintes Écritures quelque chose comme un mensonge pieux, que restera-t-il d’autorité ? Pourrons nous en tirer quelque chose dont le poids détruise l’impudence d’un mensonge opiniâtre."

 

Le même Augustin au même correspondant :

"Il m’apparaît très dangereux de croire qu’il puisse se trouver quelque mensonge dans les livres saints. Cela voudrait dire que ces hommes par qui cette Écriture nous a été enseignée et transmise ont été en quelque sorte des menteurs dans leurs livres. Si j’admets un seul instant quelque pieux mensonge dans une si haute autorité, il ne restera pas une ligne de ces précieux livres. Chaque fois que se présentera quelque chose de difficile à pratiquer ou à croire, cet exemple pernicieux empêchera d’y trouver un conseil et un appui."

 

Ainsi le bienheureux Jérôme qui a choisi quelques auteurs ecclésiastiques parmi d’autres nous recommande néanmoins de les lire plutôt que de les suivre. C’est le conseil qu’il donne dans sa lettre à Loeta sur l’éducation de sa fille.

"Qu’elle garde toujours à portée de main les écrits de Cyprien. Qu’elle parcourt sans se lasser les lettres d’Athanase et le livre d’Hilaire. Qu’elle se délecte de leurs œuvres et de leurs talents, car chez eux la piété de la foi ne vacille pas. Quant aux autres auteurs qu’elle les lise plutôt pour les juger que pour les suivre."

 

Le même Jérôme dans le commentaire du psaume 86 en arrive à dénier presque toute autorité à ces auteurs secondaires.

 "Le Seigneur dans l’Écriture parlera des peuples et des princes qui furent en elle (Jérusalem). Il ne dit pas au présent « qui sont en elle », mais au passé qui « furent en elle ».Il ne s’agit pas seulement des peuples mais aussi des princes. Qui sont donc ces princes qui furent en Jérusalem ? Voyez donc comment l’Écriture est pleine de signes prophétiques ! Nous lisons que l’apôtre Paul a dit : « Vous voulez une preuve que le Christ parle en moi ? » Ce que dit Paul, le Christ le dit. Qui vous reçoit me reçoit ! Voilà l’Écriture sainte des princes et l’Écriture sainte des peuples, elle s’adresse à tous.

Revenons à ce qui est dit : ceux qui furent et non ceux qui sont ! Ainsi à l’exception des apôtres qui furent à Jérusalem, quiconque vient après eux doit être mis à part et ne possède pas leur autorité. Même si ces auteurs sont des saints (Pères de l’Église) et si leurs écrits sont éloquents, ils ne possèdent pas l’autorité des apôtres.

 

Le même Jérôme écrit à Vigilantius

"Celui qui lit les travaux contenus dans de nombreux traités doit se comporter comme un honnête changeur de monnaie. Il doit rejeter les pièces fausses, soit qu’elles ne portent pas l’effigie de César, soit qu’elles ne possèdent pas la griffe du trésor public. La pièce de monnaie qui montre dans une claire lumière le visage du Christ, il la met en réserve dans la poche de son cœur. Ce n’est donc pas l’opinion avancé par tel docteur qui doit l’emporter mais la logique de la Révélation selon ce qui est écrit : Éprouvez tout, retenez ce qui est bon."

 

Cela est dit des commentateurs et non des Écritures canoniques elles-mêmes auxquelles il faut adhérer fermement dans la foi. De même Jérôme au sujet des saints docteurs écrit à Paulinus ceci : « L’homme bon sort des choses bonnes du bon trésor de son coeur. »

"Je ne vous parlerai pas de ces auteurs, qu’ils soient morts ou encore vivants, car à leur sujet, ceux qui viennent après nous pourront avoir des jugements divers."


Tout cela étant dit, j’entends bien, comme je l’ai décidé rassembler les divers écrits des saints Pères au fur et à mesure qu’ils me viendront à la mémoire. Certains textes qui apparaissent de prime abord dissonants susciteront des questions. Ils obligeront les lecteurs novices à un exercice de recherche de la vérité et les conduiront à plus d’acuité dans leur enquête. En vérité, la clé primordiale de la sagesse c’est de se poser des questions assidûment et fréquemment. S’emparer de cette clé doit être le souhait ardent des étudiants. Aristote, le plus perspicace des philosophes, les exhorte à le faire et, à propos du « prédicament de relation », il dit ceci :

"Il est sans doute difficile de trouver une solution à ces problèmes si on ne les a pas, à plusieurs reprises, examinés. Douter de chaque point particulier n’est pas inutile."

En effet, en doutant nous venons à chercher et en cherchant nous percevons la vérité.

C’est aussi ce que dit la Vérité elle-même :

"Cherchez, dit-elle, et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira."mt 7,7

 

Jésus lui-même ne nous donne-t-il pas son propre exemple pour nous instruire ? A l’âge d’environ douze ans il a voulu qu’on le trouva assis au milieu des docteurs et les interrogeant. Il a voulu se montrer comme un disciple qui interroge plutôt qu’un maître qui enseigne, bien qu’il fût lui-même dans la pleine et parfaite sagesse de Dieu. Lorsque sont présentés certains passages de l’Écriture, le lecteur est d’autant plus stimulé à chercher la vérité que l’autorité de cette Écriture est par elle-même plus grande. C’est pourquoi nous avons choisi de joindre à notre travail qui consiste à rassembler dans un seul volume certains textes des saints Pères, le fameux décret du pape Gélase qui définit quels sont les livres authentiques. De cette façon il est bien clair qu’aucune œuvre apocryphe n’y est incluse. Nous avons aussi ajouté certains passages des « Rétractations » du bienheureux Augustin de telle sorte qu’il n’y a rien ici qui ait pu faire l’objet de correction lorsqu’il a, par la suite, écrit ses rétractations.

Ainsi finit le prologue

Traduction partielle J. Jolivet, Abélard ou la philosophie dans le langage, p. 157 et sq. - et traduction Association culturelle Pierre Abélard 23/02/2007

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